Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/457

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ai assurément, et j’en aurais bien davantage, si elle avait voulu ; mais n’être jamais qu’avec elle, n’entendre que des préceptes qui me lassent, ne faire que des lectures qui m’ennuient, est-ce là le moyen d’avoir de l’esprit ? Qu’est-ce que cela apprend ? Il y a des petites filles de sept ans qui sont plus avancées que moi. Cela n’est-il pas ridicule ? Je n’ose pas seulement ouvrir ma fenêtre. Voyez, je vous prie, de quel air on m’habille ! suis-je vêtue comme une autre ? regardez comme me voilà faite ! Ma mère appelle cela un habit modeste ; il n’y a donc de la modestie nulle part qu’ici, car je ne vois que moi d’enveloppée comme cela ; aussi suis-je d’une enfance, d’une curiosité ! Je ne porte point de rubans ; mais qu’est-ce que ma mère y gagne ? que je suis émue quand j’en aperçois. Elle ne m’a laissé voir personne, et avant que je connusse Éraste, le cœur me battait quand j’étais regardée par un jeune homme. Voilà pourtant ce qui m’est arrivé.

Lisette.

Votre naïveté me fait rire.

Angélique.

Mais est-ce que je n’ai pas raison ? Serait-ce de même si j’avais joui d’une liberté honnête ? En vérité, si je n’avais pas le cœur bon, tiens, je crois que je haïrais ma mère, d’être cause que j’ai des émotions pour des choses dont je suis sûre que je ne me soucierais pas si je les avais. Aussi, quand je serai ma maîtresse… laisse-moi faire, va… je veux savoir tout ce que les autres savent.

Lisette.

Je m’en fie bien à vous.