Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses qu’elles ont gagné jusqu’à votre valet : on l’entend qui soupire.

Arlequin.

Je suis touché du malheur de mon maître.

Dorante.

J’ai besoin de tout mon respect pour ne pas éclater de colère.

La Comtesse.

Eh ! d’où vous vient de la colère, monsieur ! De quoi vous plaignez-vous, s’il vous plaît ? Est-ce de l’amour que vous avez pour moi ? Je n’y saurais que faire. Ce n’est pas un crime de vous paraître aimable. Est-ce de l’amour que vous voudriez que j’eusse, et que je n’ai point ? Ce n’est pas ma faute, s’il ne m’est pas venu. Il vous est fort permis de souhaiter que j’en aie ; mais de venir me reprocher que je n’en ai point, cela n’est pas raisonnable. Les sentiments de votre cœur ne font pas la loi du mien ; prenez-y garde, vous traitez cela comme une dette, et ce n’en est pas une. Soupirez, monsieur, vous êtes le maître ; je n’ai pas droit de vous en empêcher ; mais n’exigez pas que je soupire. Accoutumez-vous à penser que vos soupirs ne m’obligent point à les accompagner des miens, pas même à m’en amuser. Je les trouvais autrefois plus supportables ; mais je vous annonce que le ton qu’ils prennent aujourd’hui m’ennuie ; réglez-vous là-dessus. Adieu, monsieur.

Dorante.

Encore un mot, madame. Vous ne m’aimez donc plus ?

La Comtesse.

Eh ! eh ! plus est singulier ! je ne me ressouviens pas trop de vous avoir aimé.