Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/513

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Allons, allons, vous me flattez, disait la comtesse, en le regardant d’un œil étincelant d’amour-propre ; vous me flattez. Eh ! non, madame, ou qué la pesté m’étouffe ! Jé vous dégrade moi-même, en parlant dé vos charmés. Sandis ! aucune expression n’y peut atteindre ; vous n’êtes fidélément rendue qué dans mon cœur. N’y sommes-nous pas toutes deux, la marquise et moi ? répliquait la comtesse. La marquise et vous ! s’écriait-il ; eh ! cadédis ! où sé rangerait-elle ? Vous m’en occuperiez mille des cœurs, si jé les avais ; mon amour ne sait où sé mettre, tant il surabonde dans mes paroles, dans mes sentiments, dans ma pensée ; il sé répand partout, mon âme en régorge. Et tout en parlant ainsi, tantôt il baisait la main qu’il tenait, et tantôt le portrait. Quand la comtesse retirait la main, il se jetait sur la peinture ; quand elle redemandait la peinture, il reprenait la main ; lequel mouvement, comme vous voyez, faisait cela et cela ; ce qui était tout à fait plaisant à voir.

Dorante.

Quel récit, marquise !

(La Marquise fait signe à Dorante de se taire.)
Frontin.

Eh ! ne parlez-vous pas, monsieur ?

Dorante.

Non, je dis à madame que je trouve cela comique.

Frontin.

Je le souhaite. Là-dessus : rendez-moi mon portrait, rendez donc… Mais, comtesse… Mais, chevalier… Mais, madame, si jé rends la copie, qué l’original mé dédommagé… Oh ! pour cela, non… Oh ! pour céla, si. Le chevalier tombe à genoux : Madame, au nom dé vos grâcés innombrables,