Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas que l’on l’oublie ! Que veux-tu que je te dise de plus ? Je me condamne ; je me suis mal conduite, il est vrai.

Lisette.

Je vous le disais bien, avant que vous m’eussiez gagnée.

La Comtesse.

Misérable amour-propre de femme, misérable vanité d’être aimée, voilà ce que vous me coûtez ! J’ai voulu plaire au chevalier, comme s’il en eût valu la peine ; j’ai voulu me donner cette preuve-là de mon mérite ; il manquait cet honneur à mes charmes. Les voilà bien glorieux ! J’ai fait la conquête du chevalier, et j’ai perdu Dorante !

Lisette.

Quelle différence !

La Comtesse.

Bien plus, c’est que le chevalier est un homme que je hais naturellement quand je m’écoute ; un homme que j’ai toujours trouvé ridicule, que j’ai cent fois raillé moi-même, et qui me reste à la place du plus aimable homme du monde. Ah ! que je suis belle à présent !

Lisette.

Ne perdez point le temps à vous affliger, madame. Dorante ne sait pas que vous l’aimez encore. Le laissez-vous à la marquise ? Voulez-vous tâcher de le ravoir ? Essayez, faites quelques démarches, puisqu’il a droit d’être fâché, et que vous êtes dans votre tort.

La Comtesse.

Eh ! que veux-tu que je fasse pour un ingrat qui refuse de me parler, Lisette ? Il faut bien que j’y renonce ! Est-ce là un procédé ? Toi, qui dis qu’il a droit d’être fâché, voyons, Lisette, est-ce