Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/53

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Damis.

Non, madame, toute différente : car enfin, je pourrais vous aimer.

Lucile.

Oui-da ! mais je serais pourtant bien aise de savoir ce qui en est, à vous parler vrai.

Damis.

Ah ! c’est ce qui ne se peut pas, madame ; j’ai promis de me taire là-dessus. J’ai de l’amour, ou je n’en ai point ; je n’ai pas juré de n’en point avoir ; mais j’ai juré de ne le point dire en cas que j’en eusse, et d’agir comme s’il n’en était rien. Voilà tous les engagements que vous m’avez fait prendre, et que je dois respecter de peur du reproche. Du reste, je suis parfaitement le maître, et je vous aimerai, s’il me plaît ; ainsi, peut-être que je vous aime, peut-être que je me sacrifie ; et ce sont mes affaires.

Lucile.

Mais voilà qui est extrêmement commode ! Voyez avec quelle légèreté monsieur traite cette matière-là ! Je vous aimerai, s’il me plaît ; peut-être que je vous aime ; pas plus de façon que cela ; que je l’approuve ou non, on n’a que faire que je le sache. Il faut donc prendre patience ; mais dans le fond, si vous m’aimiez, avec cet air dégagé que vous avez, vous seriez assurément le plus grand comédien du monde, et ce caractère-là n’est pas des plus honnêtes à porter, entre vous et moi.

Damis.

Dans cette occasion-ci, il serait plus fatigant que malhonnête.