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Scène XXVII

Monsieur Thibaut, Madame Alain.

MONSIEUR THIBAUT : Hé bien ! Madame, qu’a-t-on déterminé ?
MADAME ALAIN : De passer le contrat tout à l’heure. Cela serait fait, sans cet indiscret Monsieur Rémy. Quel homme ! il rapporte, il redit, c’est une gazette !
MONSIEUR THIBAUT : Qu’a-t-il donc fait ?
MADAME ALAIN : C’est que, sans lui, qui a dit au neveu de Mademoiselle Habert qu’elle était chez moi, ce neveu ne serait point venu ici débiter mille faussetés qui ont produit la scène que vous avez vue. Que je hais les babillards ! Si je lui ressemblais, sa femme serait en de bonnes mains…
MONSIEUR THIBAUT : Hé ! d’où vient…
MADAME ALAIN : Oh ! d’où vient ? Je puis vous le dire, à vous ; c’est qu’avant-hier, elle me pria de lui serrer une somme de quatre mille livres qu’elle a épargnée à son insu et qu’il n’épargnerait pas, lui, car il dissipe tout.
MONSIEUR THIBAUT : Je le crois un peu libertin.
MADAME ALAIN : Vraiment, il se pique d’être galant ! Il se prend de goût pour les jolies femmes, à qui il envoie des présents malgré qu’elles en aient.
MONSIEUR THIBAUT : Eh ! avez-vous encore les quatre mille livres ?
MADAME ALAIN : Vraiment oui, je les ai, et s’il le savait, je ne les aurais pas longtemps. Mais le voici qui vient. Et nos amants aussi.


Scène XXVIII

Monsieur Thibaut, Madame Alain, Monsieur Rémy, La Vallée, Mademoiselle Habert.

MADAME ALAIN, à Mademoiselle Habert : Nous voilà donc parvenus à pouvoir vous marier, Mademoiselle. Le ciel en soit loué ! (À Monsieur Thibaut.) Monsieur Thibaut, commencez toujours ; Monsieur Lefort va venir.
MONSIEUR THIBAUT : Tout à l’heure, Madame. (À Monsieur Rémy.) Monsieur Rémy, je suis à la veille de me marier moi-même. Vous me devez mille écus que je vous prêtai il y a six mois ; depuis quinze jours ils sont échus ; je vous en ai accordé six autres, mais comme j’en ai besoin, je vous avertis que, sans vous incommoder, sans débourser un sol, vous êtes en état de me payer à présent.
MADAME ALAIN : Quoi donc ! qu’est-ce que c’est ?
MONSIEUR THIBAUT, à Monsieur Rémy : Madame Alain vient de me dire que votre femme lui a confié avant-hier quatre mille livres qu’elle lui garde.
MADAME ALAIN, outrée : Ah ! que cela est beau ! le joli tour d’esprit que vous me jouez là ! Moi qui vous ai parlé de cela de si bonne foi !
MONSIEUR THIBAUT, à Madame Alain : Vous ne m’avez pas demandé le secret.
MONSIEUR RÉMY : J’aurai soin de remercier Madame Rémy de son économie. Et je vous paierai, Monsieur, je vous paierai, mais priez Madame Alain de vous garder mieux le secret qu’elle n’a fait à ma femme, et qu’elle ne dise pas à d’autres qu’à moi que vous faites accroire à Monsieur Constant, dont vous allez épouser la fille, que votre charge est à vous, pendant que vous vous disposez à la payer des deniers de la dot.
MADAME ALAIN : Hé bien ! ne dirait-on pas de deux perroquets qui répètent leur leçon !
MONSIEUR THIBAUT : Il me reste encore quelque chose de la mienne et vous n’en êtes pas quitte, Monsieur Rémy : dites aussi à Madame Alain de ne pas divulguer les présents ruineux que vous faites à de jolies femmes.
MADAME ALAIN : Courage, Messieurs ! N’y a-t-il personne ici pour vous aider ?
MONSIEUR RÉMY : Je n’ai qu’un mot à répondre : vous n’aurez plus de présents, Madame Alain. Adieu. Cherchez des témoins ailleurs.
LA VALLÉE, à Monsieur Rémy : Si vous vous en allez, emportez donc les marchandises de contrebande que Madame Alain vous a cachées dans l’armoire de sa salle.
MONSIEUR RÉMY : Encore ! Hé bien, je reste ! (À Monsieur Thibaut.) Vos mille écus vous seront rendus, Monsieur Thibaut. Ignorez ma contrebande et j’ignorerai l’affaire de votre charge.
MONSIEUR THIBAUT : J’en suis d’accord. Travaillons pour Mademoiselle ; et qu’elle ait la bonté de nous dire ses intentions.


Scène XXIX

Monsieur Thibaut, Madame Alain, Monsieur Rémy, La Vallée, Mademoiselle Habert, Agathe, Javotte.

AGATHE : Ma mère, Monsieur Lefort envoie dire qu’on ne s’impatiente pas ; il achève une lettre qu’on doit mettre à la poste.
MADAME ALAIN : À la bonne heure.
MADEMOISELLE HABERT, montrant Javotte : Ayez la bonté de renvoyer cette fille.
AGATHE : Vraiment laissez-la, ma mère ; elle vient signer au contrat ; elle est parente de Monsieur de la Vallée et va l’être de Mademoiselle.
LA VALLÉE : Ma parente, à moi ?
JAVOTTE : Oui, Jacques Giroux, votre tante à la mode de Bretagne. C’est ce qu’on a su dans la maison par le neveu de ma nièce Mademoiselle Habert, qui, en s’en allant, a dit votre pays, votre nom, ce qui a fait que je vous ai reconnu tout d’un coup ; et je l’avais bien dit que vous feriez un jour quelque bonne trouvaille, car il n’était pas plus grand que ça quand je quittai le pays, mais vous saurez, Messieurs et Mesdames, que c’était le plus beau petit marmot du canton. (Se tournant vers Mademoiselle Habert.) Je vous salue, ma nièce !
MADEMOISELLE HABERT, suffoquée : Qu’est-ce que c’est que votre nièce ?
JAVOTTE : Eh ! pardi oui ! ma nièce, puisque mon neveu va être votre homme. C’est pourquoi je viens pour