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Page:Marmette - Heroisme et Trahison - 1880.djvu/204

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à un danger évident ou de tomber dans un esclavage perpétuel ou de mourir à petit feu. Le pauvre mari, voyant que sa femme persistoit dans sa demande et qu’elle vouloit se retirer au fort de Contrecœur, éloigné de trois lieues de celui de Verchères, lui dit : « Je vas vous armer un canot d’une bonne voile, avec vos deux enfans, qui savent bien canoter. Pour moi je n’abandonnerai jamais le tort de Verchères, tant que Mademoiselle Magdelon y sera (c’est ainsi que l’on m’appeloit dans mon enfance). Je lui fit réponse que je n’abandonnerois jamais le fort, que j’aimois mieux périr que de le livrer aux ennemis ; qu’il étoit d’une conséquence infinie qu’ils n’entrassent dans aucun fort françois, qu’ils jugeroient des autres par celui-ci s’ils s'en emparoient, et qu’une pareille connaissance ne pourroit servir qu’à augmenter leur fierté et leur courage.

Je puis dire avec vérité que je fus deux fois vingt-quatre heures sans dormir ni manger. Je n’entrai pas une seule fois dans la maison de mon père. Je me tenois sur le bastion, où j’allois voir de quelle manière l'on se comportait dans la redoute. Je paraissois toujours avec un air riant et gai ; j’encourageai ma petite troupe par l’espérance que je leur donnois d’un prompt secours.

Le huitième jour (car nous fûmes huit jours dans de continuelles alarmes, toujours à la vue de nos ennemis et exposés à leur fureur et à leur barbarie), le huitième jour, dis-je, M. de la Monnerie, lieutenant détache de M. de Callières, arriva la nuit avec quarante hommes, ne sachant point si le fort était pris. Il faisoit son approche en grand silence ; une de nos sentinelles entendant quelque bruit cria : Qui vive ! J’étois pour lors assoupie, la tête sur une table, mon