Page:Marmette - Heroisme et Trahison - 1880.djvu/203

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cornes, tristes restes de nos ennemis. L’on me dit : Il faut ouvrir la porte pour les faire entrer. À Dieu ne plaise, repartis-je, vous ne connaissez pas encore tous les artifices des sauvages : ils marchent sans doute après ces bestiaux, couverts de peaux de bêtes, pour entrer dans le fort si nous sommes assez indiscrets pour en ouvrir la porte. Je craignois tout d’un ennemi aussi fin et aussi rusé que l’Iroquois. Cependant après avoir pris toutes les mesures que demande la prudence dans ces circonstances, je jugeai qu’il n’y avoit point de risque à ouvrir la porte. Je fis venir mes deux frères avec leurs fusils bandés en cas de surprise, et ainsi nous fîmes entrer ces bestiaux dans le fort.

Enfin le jour parut, et le soleil en dissipant les ténèbres de la nuit, sembla dissiper notre chagrin et nos inquiétudes. Je parus au milieu de mes soldats avec un visage gai, en leur disant que : Puisqu’avec le secours du ciel nous avons bien passé la nuit, toute affreuse qu’elle a été, nous en pourrons bien passer d’autres en continuant notre bonne garde et faisant tirer le canon d’heure en heure pour avoir du secours de Montréal, qui n’est éloigné que de huit lieues. Je m’aperçus que mon discours avoit fait une pression sur les esprits. Il n’y eut que Mademoiselle Marguerite Antiome, femme du sieur Pierre Fontaine, qui extrêmement peureuse, comme il est naturel à toutes les femmes parisiennes de nation, demanda à son mari de la conduire dans un autre fort, lui représentant que si elle avoit été assez heureuse pour échapper la première nuit à la fureur des sauvages, elle ne devoit pas s’attendre au même bonheur la nuit suivante : que le fort de Verchères ne valoit rien, qu’il n’y avoit point d’hommes pour le garder, et que d’y demeurer c’étoit s’exposer