Page:Marmette - L'intendant Bigot, 1872.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cet auteur a tort de blâmer ce fait ; car la capitulation prématurée de Québec a fixé l’opinion de tous sur M. de Ramesay.

Les fortifications de la capitale avaient été entièrement négligées jusqu’à la veille du siège ; incurie d’autant plus surprenante qu’on avait dépensé des sommes fabuleuses pour des postes inutiles et distants de cinq à six cents lieues. Apparemment que MM. Bigot et Cie. y trouvaient leur intérêt.

Le moment critique arrivé, il fallait pourtant bien songer un peu à cette pauvre capitale si délaissée jusque-là, et que M. de Montcalm lui-même — on le lui a reproché — semble avoir à peu près abandonnée en se retirant à Beauport.

Voici donc les mesures hâtives qui furent prises pour la défense de la ville :

Un ouvrage en palissades, qui partait du coin de l’évêché[1] pour monter jusqu’au château, formait la communication de la basse à la haute-ville. Au-dessus s’élevait un cavalier dont les canons battaient la côte de la Montagne.

La batterie qui dominait la cime du roc, en arrière de l’évêché et des jardins du Séminaire, fut prolongée jusqu’à l’intendance ; mais on eut soin de garnir de palissades les endroits où les murs n’étaient pas encore élevés.

Du côté de la campagne, dit M. Garneau, le rempart, dépourvu de parapet, d’embrasures et de canons, n’avait que six à sept pieds de hauteur, et n’était protégé extérieurement par aucun fossé ou glacis.

À la basse-ville, ou avait ajouté de nouvelles batteries aux anciennes, tandis que toutes les ouvertures des maisons et des rues qui communiquaient au fleuve étaient fermées.

Entourés de palissades, le faubourg Saint-Roch et l’intendance étaient fortifiés, tant bien que mal, par des bastions garnis de bouches à feu.

En outre, deux navires qu’on avait fait caler vis-à-vis du palais de l’intendant, défendaient, avec du canon, le passage de la rivière Saint-Charles.[2]

Maintenant, avant que de reprendre le récit au point où nous l’avons laissé dans le chapitre qui précède, étudions un peu la topographie de ce quartier du palais qui se trouvait entre l’intendance et la rivière.

On sait que le palais de l’intendant avec les dépendances, c’est-à-dire les magasins du roi, les prisons[3], les bureaux des magasins et la maison du roi à droite ; et à gauche, la Remise, la Potasse avec les jardins et le parc, occupaient tout le terrain aujourd’hui situé entre les rues Saint-Nicolas, Saint-Paul, Saint-Roch et la rue « Sous-le-Côteau »[4], qui longe la base du roc dominé par les murs de fortification.

En arrière du palais se trouvait la « Cour où l’on mettait le bois du Roy. »[5]

Mais ce que l’on ignore peut-être, c’est qu’à l’extrémité nord-ouest et en dehors de l’enceinte du parc, c’est-à-dire, aujourd’hui, au bout de la rue Saint-Paul, se trouvaient deux immenses hangars, dans l’un desquels « on faisait les mâts des vaisseaux ; » et qu’en face de ces deux bâtisses s’élevait, sur la pointe de terre qui supporte aujourd’hui le quai de Saint-Roch, une chapelle qui avait ce même nom.[6]

En revenant un peu vers la ville et derrière le parc, là où s’étend maintenant le quai Caron, il y avait une redoute qui portait le nom de Saint-Nicolas.

Entre cette redoute et la rue du même nom, régnait une plage déserte qui se prolongeait, en descendant la rivière, jusqu’à l’extrémité nord de la rue Saint-Nicolas, où commençait, en gagnant la basse-ville, des chantiers et un hangar de construction, protégés au nord-est par une grande digue de pierre appelée la digue du Palais.[7]

Des vieillards se souviennent encore de cette digue.

Pour n’avoir rien de romantique, cette description n’est pourtant pas sans utilité, puisque sans elle on ne saurait se faire une idée de la position des principaux personnages de ce drame au moment où le carrosse de Mme Péan avait été arrêté par un parti d’Anglais.

Après être entrées dans l’embouchure de la rivière Saint-Charles avec la marée montante, les deux chaloupes anglaises avaient rasé sans bruit la plage déserte que les flots baignaient alors en arrière de la petite rue Saut-au-Matelot, puis passant près des chantiers, silencieux et sombres, les deux embarcations étaient venues s’échouer sur la plage déserte que nous venons de mentionner, c’est-à-dire quelques centaines de pieds en bas de la redoute Saint-Nicolas et des deux navires qui barraient la rivière.

Ils étaient douze, six hommes dans chacune des embarcations.

Lorsqu’ils se furent assurés qu’on ne les avait point vus et que personne ne les épiait dans les environs, deux d’entre eux restèrent pour veiller aux chaloupes, tandis que les dix autres débarquaient quelques cents pieds en arrière de la « Maison du Roy, » située au bas de la rue Saint-Nicolas et du côté de l’intendance.

Comme ils avaient eu la prévoyance, durant l’après-midi, d’examiner avec soin de la flotte, à l’aide d’une forte longue-vue, les lieux qu’ils devaient explorer le soir, les aventuriers s’y reconnurent assez bien pour ne pas aller se

  1. En relisant, dans François de Bienville, le chapitre intitule : « Le vieux Québec, » on se souviendra que l’évêché se trouvait alors à la place des bâtisses de notre parlement provincial.
  2. Détails tiré du « Mémoire sur les affaires du Canada. »
  3. Les prisons s’élevaient sur la rue Saint-Nicolas, à côté de l’endroit où se trouve aujourd’hui l’épicerie de M. Alexandre Fraser.
  4. La commencement de la rue Saint-Vallier, aujourd’hui.
  5. C’est encore là que l’on met en partie le bois de chauffage de la garnison.
  6. La chapelle Saint-Roch devait se trouver sur le bord de la rivière, à peu près vers l’endroit où commence maintenant la rue de la Reine.
  7. J’ai pris tous ces détails à la bibliothèque de l’Université Laval, sur la copie, dessinée par M. P. L. Morin, d’un plan dont l’original est déposé dans les archives du Séminaire de Québec.