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L’INTENDANT BIGOT.

avait donné un si héroïque exemple, ne proféra plus aucune plainte.

Le reste de la soirée s’écoula comme un éclair.

Sur les dix heures, Raoul se leva, pressa sa fiancée sur son cœur et sortit en se demandant avec angoisse s’ils se reverraient jamais.

Une heure après, il parvenait à s’échapper avec Lavigueur et galopait, avec un nouveau cheval, sur la route de Charlesbourg pour gagner Jacques-Cartier en passant par Lorette afin d’éviter les ennemis.

Deux jours plus tard, M. de Ramesay rendait Québec aux Anglais.

S’il avait attendu seulement deux journées encore, la ville était secourue par M. de Lévis, qui était descendu de Montréal en toute hâte et avait rejoint l’armée campée à Jacques-Cartier.


CHAPITRE VIII.

enfin !


On conçoit aisément de quelle douleur fut saisi le général Lévis, en apprenant la reddition de Québec qu’il allait précisément secourir.

Mais le mal était sans remède, pour le moment du moins, et il fit aussitôt commencer un fort sur la droite de la rivière Jacques-Cartier, afin d’en défendre le passage à l’armée anglaise, si elle tentait de marcher sur Montréal.

La saison était cependant avancée, et l’hiver approchait rapidement, ce qui allait mettre fin à la campagne. Il fallait donc bientôt songer à faire rentrer les troupes dans leurs quartiers d’hiver. On permit aux Canadiens de regagner, à la fin d’octobre, leurs foyers dévastés ; quant aux troupes, elles se replièrent sur Trois-Rivières et Montréal, vers le milieu de novembre. M. Dumas, major-général des troupes de la marine, restait avec six cents hommes pour garder le fort de la rivière Jacques-Cartier.

M. de Lévis rejoignit alors le gouverneur Vaudreuil à Montréal, où le siège du gouvernement avait été transporté après les désastres du treize septembre.

Les Anglais ne désirant point pousser plus loin leurs succès cette année-là, et se tenant cois à Québec qu’ils s’occupèrent à fortifier durant la mauvaise saison, l’hiver s’écoula sans qu’aucun engagement sérieux prit place entre les deux partis. Il y eut bien, il est vrai, de ci et de là, quelques escarmouches que les généraux permirent à de petits détachements d’engager. Mais c’était plutôt pour tenir, des deux côtés, le soldat en haleine qu’en vue d’amener une action décisive.

Le général Lévis s’était hâté d’envoyer en France, après la chute de Québec, le commandant d’artillerie, M. Le Mercier, afin de demander des secours. Mais la France était trop éloignée pour entendre les cris de détresse de ses enfants, ou plutôt elle fermait les oreilles aux plaintes de leur agonie.

De sorte qu’au retour du printemps, nous nous trouvions encore dans une plus grande pénurie de troupes, d’approvisionnements et de munitions, que l’année précédente.

Il était, pour le moins, téméraire d’oser continuer la lutte. Pourtant M. de Lévis, aidé par la bravoure des troupes françaises et le sublime dévouement des Canadiens, qui ne se pouvaient décider à se séparer de cette cruelle mère-patrie qui tournait le dos à ses enfants, afin de ne les voir pas expirer pour elle, M. de Lévis voulut tenter un suprême effort pour reprendre Québec.

L’hiver était à peine fini, et le fleuve charriait encore d’épais glaçons, que, le 20 avril 1760, les glorieux restes de la milice et de l’armée s’ébranlaient de nouveau pour la victoire ou la mort.

C’est à peine si cette armée chevaleresque s’élevait à sept mille combattants, dont trois mille cinq cents hommes de troupes, trois mille miliciens et quelques centaines de Sauvages, qui ne furent d’aucune utilité lors de la seconde bataille d’Abraham.[1]

Chacun connaît les résultats, si glorieux pour nous, de la bataille de Sainte-Foye, livrée sous les murs de Québec par nos troupes, contre celles du général anglais Murray. Sur le champ même où le combat eut lieu, s’élève un monument d’airain, couronné d’une Bellone qui porte haut la tête et regarde fièrement au loin, vers Montréal, étendant au-dessus de la plaine la couronne de laurier destinée aux vainqueurs ; car elle sait que si les ombres des Montagnards écossais sortaient de terre pour jeter au vent les cris de triomphe de la première bataille d’Abraham, les ossements blanchis des soldats canadiens et français, qui dorment à ses pieds, secoueraient aussi leur poussière pour dire à leurs vieux ennemis comment les Grenadiers anglais de Murray s’enfuirent, le 28 avril 1760 devant les bataillons triomphants de Lévis.

Obligé de se renfermer dans la ville après sa défaite, Murray attendit patiemment les secours qu’on lui envoyait d’Angleterre ; M. de Lévis, qui attaquait la ville à son tour, étant tout à fait dépourvu d’un matériel de siége.

Depuis sa victoire, Lévis interrogeait l’horizon d’un œil anxieux, pour apercevoir une voile amie qui lui apportât l’espérance avec l’aide. S’il était secouru, les désastres de l’année précédente pouvaient se réparer en replantant la hampe du drapeau fleurdelisé sur le vieux roc de Québec.

Le 9 et le 15 de mai, trois frégates apparurent en vue du port. Du plus loin qu’on les entrevit, Anglais et Français sentirent battre leur cœur de crainte et d’espérance. Quand, enfin, les couleurs hissées au grand mât se purent distinguer, un long hourra d’enthousiasme s’éleva des remparts de la ville. Les trois frégates étaient anglaises.

Alors, Lévis, consterné, manquant de tout, Lévis, qui n’était pas mort parce que les balles anglaises en avaient eu peur ; Lévis, le brave mais clairvoyant général, sentit que tout était perdu.

  1. « Les Sauvages, qui s’étaient presque tous tenus dans les bois en arrière, pendant le combat, se répandirent sur le champ de bataille, lorsque les Français se furent éloignés à la poursuite des fuyards ; ils assommèrent quantité de blessés anglais, dont l’on trouva ensuite les chevelure étendues sur les buissons voisins. Aussitôt que le général Lévis fût informé de ces massacres, il prit les mesures les plus rigoureuses pour les faire cesser. » M. Garneau.