Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/84

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Vilarme pâlit.

— Et le chef iroquois, reprit-il, trouve donc un peu plus grâce devant vous ?

À son tour Jeanne pâlit encore, malgré que cela eût paru d’abord impossible.

— Il est rumeur qu’il vous doit épouser cette nuit.

Mlle de Richecourt ne répondit pas.

Malgré la position périlleuse où elle se trouvait, elle semblait prêter l’oreille à quelque bruit du dehors.

Elle avait cru entendre un nouveau bruissement de pas.

— Écoutez ! Mademoiselle, continua Vilarme qui se rapprocha de la jeune fille. Le temps presse, les instants sont précieux ; chaque seconde vaut une année. Vous êtes menacée du plus effroyable sort qui peut atteindre une femme de votre caste. Vous, la femme d’un brutal Iroquois. Il y a de quoi vous glacer le sang dans les veines. Encore une fois veuillez m’écouter. N’oubliez pas que si je tuai votre mère, ce fut, après tout, par amour. Je vous aime comme je l’ai aimée, avec passion, rage et furie ! Voulez-vous être ma femme ? Nous allons fuir ensemble……

Le regard que Mademoiselle de Richecourt laissa tomber sur l’infâme était tellement chargé de dégoût et d’horreur qu’il comprit quelle immense répulsion il causait à Jeanne.

Mais cet homme qui avait, innée en lui, la furie du crime, s’écria :

— Eh bien, tu l’auras voulu !

Et il s’élança pour saisir la jeune fille qui sauta par dessus le corps de la Perdrix-Blanche. Celle-ci réveillée se mit sur son séant. Vilarme allait franchir à son tour ce frêle obstacle lorsque la portière s’écarta soudain.

Un homme bondit à l’intérieur.

Le casse-tête qu’il brandissait tournoya en sifflant et s’abattit sur la tête de Vilarme.

Le crâne du misérable vola en éclat par la cabane avec des lambeaux sanglants de cervelle qui jaillirent jusque sur la robe de Jeanne.

Sans un cri, Vilarme s’abattit sur le sol, la tête fracassée, vide, ruisselant de sang, hideux.

Il était mort.

— Griffe-d’Ours ! s’écria Jeanne avec une angoisse inexprimable.

Le chef iroquois se pencha sur le cadavre de Vilarme qu’il poussa du pied.

— Le chef a bien fait, dit-il, de venir chercher sa femme que ce chien convoitait. Il était temps ! La vierge blanche est-elle prête ? Mes guerriers m’attendent pour assister à notre mariage.

Pour toute réponse Jeanne brandit le stylet qui ne l’avait point quittée, afin de s’en frapper au cœur.

Mais en appuyant sur sa jambe droite et en avançant sa poitrine pour donner plus de force au coup qu’elle se voulait porter, son pied glissa sur un fragment encore chaud de la cervelle de Vilarme et la pauvre Jeanne tomba à la renverse en laissant échapper son arme.

Griffe-d’Ours bondit sur elle et lui enserra les poignets de ses mains puissantes.

— Mon Dieu, je suis perdue ! cria-t-elle.

Griffe-d’Ours repoussa brusquement de sa main gauche la Perdrix-Blanche qui voulait s’interposer entre lui et Jeanne qu’il releva de sa main droite.

Au même instant Mornac s’élançait à son tour dans le ouigouam.

À l’apparition subite de ce nouvel ennemi, Griffe-d’Ours lâcha la jeune fille, ressaisit son tomahawk qu’il avait laissé tomber, et courut au devant du chevalier.

Tous deux, l’arme haute, s’arrêtèrent à trois pas de distance.

Ils se brûlaient du regard.

— Chiens de faces pâles ! vous voulez donc tous mourir par ma main ce soir ! gronda Griffe-d’Ours.

Son terrible casse-tête se leva, tournoya de nouveau pour tuer.

Mornac fit un écart, évita le coup, lança sa hache d’armes de toutes ses forces sur la poitrine nue du sauvage.

Celui-ci avait aussi deviné l’attaque et diminua l’intensité du choc en se détournant un peu.

Néanmoins le sauvage chancela, car la massue de Mornac lui avait déchiré, broyé fort avant les chairs de la poitrine.

Le chevalier tira son long couteau de chasse et s’avança pour en percer son ennemi qui le prévint en lui saisissant le bras d’une main et la gorge de l’autre.

Il y eut un instant de crispation terrible dans les muscles du corps de ces deux hommes.

Doué d’une force physique supérieure à celle du chevalier, Griffe-d’Ours lui tordit le bras si violemment que Mornac dut laisser tomber son couteau.

Le Sauvage enserra de ses deux mains le cou du pauvre chevalier qu’il renversa sous lui.

Mornac voulut enfoncer aussi ses doigts crispés dans la gorge de l’Iroquois.

Celui-ci, qui était tombé à genoux sur la poitrine du jeune homme, fit un bond qui le débarrassa de cette étreinte ; et puis appuyant ses deux genoux sur chacun des bras de Mornac pour paralyser ses mouvements, il resserra lui-même l’étau d’acier de ses cinq doigts.

Mornac réduit à l’impuissance et à la merci de son ennemi voulut crier.

Il râla.

Sa figure empourprée bleuit. Ses yeux injectés de sang lui sortirent presque de leur orbite.

Jeanne vit qu’il allait être étouffé, ramassa son stylet, et accourut pour en frapper Griffe-d’Ours.

La Perdrix-Blanche à la vue de son frère en danger, se jeta au devant de Jeanne, et, plus forte qu’elle, l’empêcha d’avancer.

Épuisé, étranglé, suffoqué, Mornac sentit peu à peu sa vie s’en aller.

Il fit un dernier et immense effort pour se débarrasser de Griffe-d’Ours.

Deux fois son corps se roidit, sauta en soulevant le Sauvage cramponné à son cou.

Deux fois il retomba sur le sol avec un bruit mat et désespérant.

Alors ce pauvre Mornac s’aperçut qu’il allait mourir.

Il ne vit plus que des éclairs serpenter