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il tout en se faufilant entre les ouigouams silencieux et sombres, malheur à vous ! Mes amis sont là qui m’attendent impatients. Nous sommes de force à lutter contre vous deux !

Il atteignit sa cabane dont il écarta la portière d’une main fébrile.

La hutte était plongée dans une obscurité presque complète. Quelques tisons à demi éteints brillaient faiblement au milieu de la cabane plongée dans l’ombre à ses extrémités. Le silence n’y était interrompu que par les ronflements de la vieille qui dormait dans un coin.

— Ne seraient-ils pas arrivés ! fit Mornac en se penchant avec anxiété sur les charbons pour en raviver le feu.

La flamme jaillit sous le souffle ardent du jeune homme qui jeta un coup d’œil rapide autour de lui.

Il ne vit que la vieille femme qui dormait toute recroquevillée sur son galetas.

— Personne ! Oh ! le ciel nous hait donc ! Et bien ! puisque le temps en est venu, allons mourir !

Il se pencha vers l’endroit où il couchait habituellement, tira de sous son lit une hache et un long couteau de chasse que la vieille lui avait procurés durant le jour, rejeta le tison allumé dans le brasier, et bondit hors du ouigouam.


CHAPITRE XIX.

terreurs mortelles.

En proie aux angoisses les plus poignantes, Mlle de Richecourt avait passé la journée auprès du grabat de la Perdrix-Blanche.

Terrifiée par la promesse que Griffe-d’Ours lui avait faite de la prendre pour femme le soir même, elle avait alternativement prié et pleuré tout le jour. Le moment de la fuite se trouvait si rapproché de l’heure terrible dont le chef iroquois l’avait menacée, les chances d’une évasion si précaires et si hasardées qu’elle avait fait d’avance le sacrifice de sa vie, bien décidée de prévenir le déshonneur par une mort volontaire.

À force de songer aux probabilités de sa fin prochaine, elle en était arrivée, vers le soir, à une tranquillité relative qui se pouvait expliquer moins par la force de la volonté que par un affaissement nerveux amené par l’excitation extrême qu’elle avait ressentie la veille et le jour même.

Pendant le festin, auquel nous venons d’assister, elle était donc là, près du galetas de la Perdrix-Blanche endormie. Elle, assise, immobile, sa figure pâlie appuyée sur sa main gauche, le regard triste et vague, les lèvres décolorées, mais contractées et portant l’expression d’une décision irrévocable.

Ainsi pâle et sans mouvement, à peine éclairée par les lueurs ternes du feu qui allait s’éteignant au milieu de la cabane, la demoiselle de Richecourt ressemblait à ces blanches statues de marbre, assises éplorées sur les tombeaux des châtelaines, ses aïeules, qui reposaient dans la chapelle funéraire du château de Kergalec.

À mesure que l’heure fatale approchait, la conscience semblait lui revenir et des frissons nerveux passaient par tout son être au moindre bruit, tout comme la calme surface d’un lac frémit au plus petit souffle de vent.

Il est si bon de vivre, après tout, lorsque l’on n’a que vingt ans à peine et qu’on est doué par Dieu de la richesse et de tous les dons personnels qui semblent promettre un prochain avenir de félicité ! Comment ne pas sentir des regrets amers de quitter une vie toute parsemée d’illusions dorées et de séduisantes promesses dont on n’a pas pu constater encore la cruelle inanité. Sentir circuler dans ses veines un sang jeune et généreux et se dire : Dans une heure, en moins de temps peut-être, mon cœur fait pour aimer et pour battre sur une âme amie arrêtera soudain ses pulsations vivifiantes. Cette exubérance de vie que je sens bouillonner en moi, se calmera subitement pour se geler sous le souffle de glace de l’éternelle immobilité ! Oh ! les malheureux qui ont éprouvé ces atroces tourments ont dû bien souffrir et Dieu qui juge tout, leur aura su pardonner peut-être un désespoir inspiré par une destinée aussi cruelle.

Jeanne était donc froide en apparence, mais le cœur plein d’émotion, prêtant l’oreille aux mille bruissements nocturnes, elle se demandait s’il était bien vrai que la mort fût proche ou s’il lui restait encore une espérance de salut.

Des pas furtifs, qui se rapprochaient évidemment du ouigouam, vinrent tout à coup répondre à son cœur comme un choc dont les vibrations vont frapper sur un endroit sonore.

Elle se redressa, la gorge palpitante, ses lèvres sèches entrouvertes et le regard plein d’une anxiété terrible.

— Oh ! si c’était mes amis ! pensa-t-elle.

À mesure que les pas devenaient plus distincts, les palpitations de son cœur se faisaient plus pressées et frappaient comme des coups de marteau dans sa tête.

Celui qui s’approchait allait entrer.

Qui allait-elle voir apparaître ?

Question de vie ou de mort.

Ses deux mains se croisèrent sur sa poitrine qui bondissait convulsivement.

À la porte une main se montra.

La portière s’agita, s’ouvrit.

Jeanne poussa un cri de terreur.

C’était Vilarme.

Souriant il s’avança vers la jeune fille épouvantée.

Elle avait été tellement absorbée par la seule pensée du terrible Griffe-d’Ours, qu’elle avait oublié les dangereuses poursuites du baron. Au lieu du péril prévu, un autre inattendu, mais aussi terrible, se dressait tout à coup devant elle, sans empêcher en aucune sorte, les approches aussi périlleuses, du premier.

— Vous me paraissez bien émue, Mademoiselle, dit l’affreux homme.

Furtivement, Jeanne glissa sa main droite dans les plis de sa robe, et ne répondit pas.

— Vous me haïssez donc beaucoup ! continua-t-il d’un ton douloureux et peiné.

— Vous vous trompez un peu, Monsieur, répondit Jeanne en s’efforçant de raffermir sa voix. C’est plus que de la haine que je ressens pour vous, c’est de l’horreur !