Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/88

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avait permis de la revoir et de contribuer à la sauver.

Cette nuit passée dans un souterrain plongé dans une obscurité profonde, avec la menace incessante d’un danger imminent, cette nuit employée à recueillir d’une oreille avide des paroles étrangères à son amour, et que la jeune fille proférait comme un souffle, fut peut-être pour Jolliet la plus belle de sa vie tout entière.

Il s’en souvint toujours, et longtemps après, il revoyait encore ce petit coin du ciel bleu qu’il apercevait cette nuit-là par l’étroite ouverture de la grotte, avec une brillante étoile qui frissonnait dans la nuit froide et qui lui semblait alors comme un gage infaillible d’espérance.

Lorsque le jour parut, le Renard-Noir descendit dans la caverne et Joncas alla monter la garde à son tour.

Les autres, fatigués et quelque peu rassurés maintenant, s’endormirent comme l’étoile du matin allait s’éteindre dans les premières lueurs pâles de l’aurore.

Quand ils se réveillèrent il faisait grand jour et Mornac allait remplacer Joncas comme factionnaire.

Je ne m’arrêterai pas aux menus incidents de ce jour et de la nuit suivante qui se passèrent dans une immobilité monotone et dans une attente anxieuse.

Vers le milieu de la seconde journée, Jolliet qui était posté en sentinelle sur le sommet du rocher se pencha sur l’ouverture et dit :

— Attention ! voici le parti de guerre qui revient !

— Que mon fils descende tout de suite, dit le Renard-Noir ; je m’en vais prendre sa place.

Quand le chef eut regagné son poste d’observation, il put voir en effet Griffe-d’Ours et sa troupe qui rentraient au village. Ils paraissaient harassés et abattus.

Au bout d’une heure le Huron remarqua un grand mouvement qui se faisait dans la bourgade.

Il redoubla d’attention et vit bientôt la population tout entière sortir du village et se diriger du côté de la caverne.

Le Renard-Noir se glissa à plat ventre jusqu’à l’ouverture de la grotte, exposa la situation en peu de mots, enjoignit le plus strict silence, passa son mousquet à Joncas afin de n’être pas embarrassé en cas d’alerte et rampa de nouveau jusqu’à son poste d’observation.

Le cœur des fugitifs battait bien fort.

Les ennemis s’en venaient-ils explorer les alentours du village et visiter la caverne…

Soudain ils virent le jour s’obscurcir au-dessus de l’ouverture dans laquelle s’engagea le corps du Renard-Noir.

Il descendit avec la rapidité de l’éclair, tira la trappe dans son cadre naturel et la referma avec le plus grand soin.

Ensuite il se pencha vers ses compagnons et leur dit tout bas :

— Si l’un de nous remue, nous sommes morts !

Les respirations s’arrêtèrent haletantes et un silence sépulcral régna dans la caverne.

Voici ce qui arrivait.

Griffe-d’Ours était revenu au village, exaspéré de n’avoir pu rejoindre ses prisonniers.

On n’attendait que le retour des guerriers pour donner la sépulture aux cinq malheureux que le Renard-Noir avait massacrés. Aussi une heure après son arrivée, Griffe-d’Ours et ses gens de guerre escortaient-ils leurs compagnons morts jusqu’au cimetière aérien qui avoisinait la grotte.

La cérémonie des funérailles terminée, Griffe-d’Ours qui pensait toujours aux prisonniers envolés et surtout à sa belle captive, eut une inspiration subite en promenant ses regards autour de lui.

— Puisque nous n’avons pu les rejoindre au loin, pensa-t-il, qui sait s’ils ne sont pas restés tout près du village ?

Il songea à la caverne comme un lieu propice à la retraite.

Il communiqua sa pensée à ses principaux guerriers et se dirigea vers la grotte qui n’était distante du champ des morts que d’une couple d’arpents.

Il écarta les broussailles qui masquaient l’entrée naturelle et horizontale de la caverne et regarda.

Comme il ne voyait rien remuer à l’intérieur il tira son couteau de sa gaine et pénétra résolument dans la grotte, suivi de près par ses compagnons.

Quoiqu’il fût rarement venu dans la caverne il la connaissait assez pour être surpris de se voir arrêté au milieu par cette barrière infranchissable du roc nouvellement tombé de la voûte.

Il cria à ceux qui étaient restés au dehors de lui apporter une torche. L’un d’eux grimpa sur le rocher pour dépouiller un petit cèdre de son écorce afin de faire un flambeau que l’on passa bientôt tout allumé à Griffe-d’Ours.

Le chef examina fort attentivement l’épaisse muraille de pierre qui bouchait complètement la grotte.

Pour s’assurer de sa solidité, lui et ses compagnons se lancèrent dessus de toutes leurs forces.

Les fugitifs tremblants de frayeur entendaient tout de l’autre côté.

Le bruit des pas de ceux qui marchaient sur le sommet du rocher, résonnait aussi sourdement au-dessus de leurs têtes.

Qu’on se figure leurs transes mortelles en songeant combien ils étaient persuadés que le moindre indice pouvait les trahir et qu’une fois découverts c’en était absolument fait d’eux tous !

Après d’inutiles efforts pour faire bouger l’énorme pierre, quand il eut tout bien examiné, Griffe-d’Ours constata que le récent tremblement de terre avait ainsi bouleversé la grotte.

Ne connaissant pas d’autre issue à la caverne et grâce aux précautions du Renard-Noir à faire disparaître toute trace du séjour de Joncas, de Jolliet et de lui-même en ce lieu, Griffe-d’Ours en sortit.

Mais son esprit soupçonneux l’éperonnait toujours et il grimpa sur le rocher.

Pendant quelque temps les fugitifs, plutôt morts que vivants, l’entendirent rôder au-dessus d’eux.