Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/89

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Tous les hommes, Joncas en tête, l’arquebuse au poing se tenaient prêts à vendre chèrement leur vie. Mlle de Richecourt, agenouillée au fond de la caverne priait pour tous.

Enfin il leur sembla que le bruit des pas s’éloignait et ils n’entendirent bientôt plus rien.

Un doute terrible vint pourtant troubler aussitôt la joie qu’ils allaient éprouver.

« Si les Iroquois avaient quelque soupçon de leur présence et s’étaient avisés de poster un espion aux alentours ou sur le rocher, les fugitifs ne se trahiraient-ils pas eux-mêmes par le moindre bruit ou lorsqu’ils tenteraient d’ouvrir la trappe… »

Cette idée que Joncas souffla dans l’oreille de ses compagnons les glaça de frayeur, et deux heures durant ils restèrent, sans oser remuer, dans les plus fatigantes positions.

Enfin, n’entendant rien au dehors, Joncas dit :

— La nuit doit être proche à présent. Prenons une bouchée, sans bruit, afin de nous préparer à partir à la faveur des ténèbres.

Ils mangèrent en silence, l’oreille au guet et le cœur palpitant d’inquiétude.

Lorsqu’ils eurent fini, le Renard-Noir dit :

— Prenez vos armes et tenez-vous prêts. Le chef va sortir le premier pour explorer les environs.

Il poussa doucement la trappe. Mais avant de se montrer la tête au dehors il attendit un peu. Comme rien n’indiquait que ce mouvement avait été remarqué, il sortit.

Il fut absent un quart d’heure qu’il passa à visiter avec soin les alentours.

L’arquebuse au bras, la mèche haute et allumée, le poignard entre les dents, les autres attendaient son retour avec une anxiété facile à comprendre.

Enfin la silhouette du Renard-Noir apparut par l’ouverture et leur dit :

— Montez !

Les provisions de bouche, les fourrures, les vêtements, les raquettes et les armes furent d’abord sortis.

Ensuite Mornac prit dans ses bras sa fiancée qu’il éleva jusqu’à la portée des bras de Joncas. Celui-ci qui était au dehors aida Jeanne à prendre pied sur la plateforme extérieure.

Enfin Mornac et Jolliet sautèrent à leur tour hors de la caverne.

Chacun prit sa part du bagage et quand on se fut bien assuré qu’on n’oubliait rien, la trappe fut soigneusement refermée. Avant de se mettre à la tête de la petite caravane, le Renard-Noir prêta l’oreille un instant du côté de la bourgade.

— Ils dorment tous, dit-il. Allons.

Et par un sentier détourné qui leur faisait éviter le chemin tracé par les Iroquois, ils s’enfoncèrent dans l’épaisseur du bois.

Ils firent si grande diligence et la route prise par le Renard-Noir abrégeait tant leur course qu’ils se trouvèrent au point du jour sur les bords du lac Saint-Sacrement.

Ils eurent soin de s’assurer qu’on ne les y épiait point. Puis Joncas et le Renard-Noir retirèrent leur canot de la cache où ils l’avaient laissé en venant et le lancèrent à l’eau.

Malgré que la saison fût avancée et que la gelée eut assez durci la terre pour que les fugitifs ne craignissent point d’avoir laissé derrière eux des traces accusatrices, il n’y avait pas encore de glace sur le lac.

Ce qui allait leur donner un immense avantage et leur permettre de faire une partie du voyage en canot et de doubler au moins ainsi la vitesse de leur fuite.

Tout le bagage fut embarqué en dix secondes, Mlle de Richecourt enveloppée dans une chaude peau de bison et couchée à l’avant de la pirogue.

Les quatre hommes saisirent leurs avirons et lancèrent en avant le canot qui se mit à fendre l’eau calme du lac, avec la rapidité du saumon qui s’enfuit.

Le jour commençait à poindre et laissait entrevoir les flocons de brume qui flottaient sur le lac et au milieu desquels le canot passait comme un éclair à travers les nuages.

Les fugitifs coururent ainsi sans relâche pendant toute la matinée.

Ils prirent terre à midi, près de la décharge du lac, entrèrent dans le bois, un peu à l’écart du sentier que l’on suivait habituellement entre les deux lacs et firent halte pour se réconforter par un bon repas.

Une heure après, leur bagage et leur canot sur l’épaule ils commençaient le portage qu’il leur fallait faire pour gagner le lac Champlain.

Jeanne sentait ses forces s’accroître par la joie de la délivrance et l’espoir d’un salut prochain. Elle suivait bravement ses sauveurs qui marchaient pourtant en toute hâte. Il est vrai que le chevalier lui donnait la main et l’aidait à franchir les mauvais pas.

La nuit était descendue sur le bois lorsqu’ils arrivèrent sur les bords du lac Champlain.

Bien que chacun tombât de fatigue, il fut résolu qu’on gagnerait sans plus tarder l’Île-aux-Cèdres, sise à six lieues de distance, et où l’on serait plus en sûreté pour passer la nuit.

La pirogue fut remise à flot et les rameurs se courbèrent de nouveau sur leurs avirons qui plongèrent avec ensemble dans l’eau noire et profonde.

Pas un d’eux ne rompait le grand silence de la solitude, et Jeanne chaudement couchée au fond de la pirogue, s’endormit à la cadence monotone des avirons, et aux joyeux glouglous de l’eau qui glissait avec rapidité sur le flanc mince et sonore du canot d’écorce.

Elle ne s’éveilla que lorsqu’on eut abordé à l’Île-aux-Cèdres.

Il était minuit.

Le Renard-Noir s’empressa d’aller explorer l’îlot pour s’assurer que personne autre qu’eux n’y campait cette nuit-là.

L’on mangea de grand appétit et chacun se prépara à dormir de la manière la plus confortable possible. Vu la crainte qu’ils avaient d’être poursuivis et le danger qui les empêchait de faire du feu, les fourrures leur étaient de la plus grande utilité.

Le Huron, infatigable, se chargea de la première veille tandis que ses compagnons, roulés dans leurs couvertures, s’endormaient sous les branches protectrices d’un petit bosquet de cèdres.