Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/29

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question de duels ; jamais Silio (ainsi s’appelait notre inconnu) ne se mêlait à ces sortes d’entretiens. Un jour on lui demanda s’il s’était battu en duel, il répondit sèchement qu’il s’était battu, sans ajouter aucun détail, et il nous fut aisé de voir que de pareilles questions lui étaient désagréables. Nous en conclûmes qu’il avait sur la conscience le souvenir de quelque malheureuse victime de son habileté. À aucun de nous l’idée ne vint qu’il pouvait éprouver un sentiment de peur. Il est des gens dont l’extérieur seul écarte tout soupçon de ce genre. L’incident que je vais raconter nous causa une étrange surprise.

Une dizaine d’officiers dînaient un jour chez Silio. On but comme de coutume, c’est-à-dire beaucoup, puis on le pria d’organiser un pharaon et d’être le banquier ; il s’y refusa longtemps, car il ne jouait presque jamais. Enfin il fit apporter des cartes, déposa sur la table cinquante ducats, et le jeu commença. Dans ces occasions il gardait un silence sévère, évitant avec soin toute discussion et toute explication. S’il y avait une erreur dans l’enjeu, il comblait sans rien dire le déficit, ou inscrivait l’excédant. Nous connaissions ses habitudes, et nous le laissions faire, mais avec nous se trouvait un lieutenant nouvellement arrivé, qui ne le connaissait pas, et qui était fort distrait au jeu ; il commit une méprise que Silio inscrivit selon sa coutume avec de la craie. L’officier demanda une explication. Notre hôte, sans lui répondre, con-