Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/30

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tinua son jeu. L’officier impatienté saisit une brosse et effaça le chiffre que Silio avait marqué. Silio dessina de nouveau tranquillement le même chiffre. L’officier, échauffé par le vin, par l’animation du jeu, excité en outre par les éclats de rire de ses compagnons, et se croyant offensé, prit avec fureur sur la table un flambeau de cuivre, et le lança à la tête de Silio, qui n’esquiva le coup que par hasard. Il se leva pâle de colère, et, fixant sur notre camarade un regard étincelant : « Sortez, lui dit-il, et remerciez Dieu de ce que cette action s’est commise chez moi. »

Nous ne mettions pas en doute les suites d’un tel événement, et nous regardions notre camarade comme un homme mort. Il se retira en déclarant qu’il était prêt à rendre raison de son offense. Nous continuâmes encore quelques instants à jouer ; mais, remarquant que notre hôte n’était plus à la partie, nous regagnâmes l’un après l’autre notre quartier en songeant qu’il y aurait bientôt une place vacante dans notre régiment.

Le lendemain au manège, nous nous demandions si le pauvre lieutenant vivait encore, lorsqu’il s’avança près de nous et nous dit qu’il n’avait pas la moindre nouvelle de Silio. C’était incroyable. Nous allâmes chez Silio, et nous le trouvâmes lançant balle sur balle dans des as cloués à la muraille. Il nous reçut comme de coutume et ne dit pas un mot de ce qui s’était passé la veille. Trois jours s’écoulèrent. Le lieutenant