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MÉMOIRES
D’UN PÈRE
POUR SERVIR À L’INSTRUCTION DE SES ENFANTS.

LIVRE PREMIER.


C’est pour mes enfants que j’écris l’histoire de ma vie ; leur mère l’a voulu. Si quelque autre y jette les yeux, qu’il me pardonne les détails minutieux pour lui, mais que je crois intéressants pour eux. Mes enfants ont besoin de recueillir les leçons que le temps, l’occasion, l’exemple, les situations diverses par où j’ai passé, m’ont données. Je veux qu’ils apprennent de moi à ne jamais désespérer d’eux-mêmes, mais à s’en défier toujours ; à craindre les écueils de la bonne fortune, et à passer avec courage les détroits de l’adversité.

J’ai eu sur eux l’avantage de naître dans un lieu où l’inégalité de condition et de fortune ne se faisait presque pas sentir. Un peu de bien, quelque industrie, ou un petit commerce, formaient l’état de presque tous les habitants de Bort, petite ville de Limousin, où j’ai reçu le jour. La médiocrité y tenait lieu de richesse ; chacun y était libre et utilement occupé. Ainsi la fierté, la franchise, la noblesse du naturel n’y étaient altérées par aucune sorte d’humiliation, et nulle part le sot orgueil n’était plus mal reçu ni plus tôt corrigé. Je puis donc dire que durant mon enfance, quoique né dans l’obscurité, je n’ai connu que mes égaux : de là peut-être un peu de roideur que j’ai eue dans le caractère, et que la raison même et l’âge n’ont jamais assez amollie.