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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/283

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raclides[1]. C’étoit la plus foiblement écrite de mes pièces de théâtre, mais la plus pathétique ; et, aux répétitions, je ne puis exprimer l’impression qu’elle avoit faite. Mlle Du Mesnil y jouoit le rôle de Déjanire, Mlle Clairon celui d’Olympie ; et, dans leurs scènes, l’expression de l’amour et de la douleur de la mère étoit si déchirante que celle qui jouoit la fille en étoit pénétrée au point de ne pouvoir parler. L’auditoire fondoit en larmes. M. de La Popelinière, ainsi que tous les assistans, me répondoient d’un plein succès.

J’ai fait entendre ailleurs par quel événement tout l’effet de ce pathétique fut détruit à la première représentation. Mais, ce que je n’ai pas voulu expliquer dans une préface, je puis le dire clairement dans des mémoires particuliers. Mlle Du Mesnil aimoit le vin, elle avoit coutume d’en boire un gobelet dans les entr’actes, mais assez trempé d’eau pour ne pas l’enivrer. Malheureusement, ce jour-là, son laquais le lui versa pur, à son insu. Dans le premier acte, elle venoit d’être sublime et applaudie avec transport. Toute bouillante encore, elle avala ce vin, et il lui porta à la tête. Dans cet état d’ivresse et d’étourdissement, elle joua le

  1. Jouée pour la première fois le 24 mai 1752, et reprise le 27 novembre suivant, elle eut alors quatre représentations.