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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/288

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Mais le fruit que je retirai de son commerce et de son exemple fut un retour de réflexion sur l’imprudence de ma jeunesse. « Voilà, disois-je, un homme qui s’est donné le temps de penser avant que d’écrire ; et moi, dans le plus difficile et le plus périlleux des arts, je me suis hâté de produire presque avant que d’avoir pensé. Vingt ans d’étude et de méditation dans le silence et la retraite ont amassé, mûri et fécondé ses connoissances ; et moi je répands mes idées lorsqu’à peine elles sont écloses, et avant qu’elles aient acquis leur force et leur accroissement. Aussi voit-on dans ses premiers écrits une plénitude étonnante, une virilité parfaite ; et, dans les miens, tout se ressent de la verdeur ou de la foiblesse d’un talent que l’étude et la réflexion n’ont pas assez longtemps nourri. » Ma seule excuse étoit mon infortune et le besoin de travailler incessamment et à la hâte pour me procurer de quoi vivre. Je résolus de me tirer de cette triste situation, fallût-il renoncer aux lettres.

J’avois quelque accès à la cour, et la disgrâce de M. Orry ne m’avoit pas ôté toute espérance de fortune. La même femme dont le crédit l’avoit

    occasion de me nuire dans la société et de me maltraiter indirectement dans ses ouvrages. » Jean-Jacques avait déjà noté le prétendu grief de Marmontel contre lui dans une lettre à Mme de Créquy (5 février 1761).