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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/74

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MÉMOIRES DE MARMONTEL

tous mes devoirs remplis, tous mes goûts satisfaits, j’avois encore du temps à donner à la société, et je conviens que, tous les ans, celle de la jeunesse me plaisoit davantage ; mais, comme je l’ai dit, ce ne fut qu’à quinze ans qu’elle eut pour moi tout, son attrait. Les liaisons qu’on y formoit n’inquiétoient point les familles : il y avoit si peu d’inégalité d’état et de fortune que les pères et mères étoient presque aussitôt d’accord que les enfans, et rarement l’hymen faisoit languir l’amour ; mais ce qui pour mes camarades n’étoit d’aucun danger avoit pour moi celui d’éteindre mon émulation et de faire avorter le fruit de mes études.

Je voyois les cœurs se choisir et former entre eux des liens l’exemple m’en donna l’envie. L’une de nos jeunes compagnes, et la plus jolie à mon gré, me parut libre encore et n’avoir, comme moi, que le vague désir de plaire. Dans sa fraîcheur, elle n’avoit pas ce tendre et doux éclat que l’on nous peint dans la beauté lorsqu’on la compare à la rose ; mais le vermillon, le duvet, la rondeur de la pêche, vous offrent une image qui lui ressemble assez. Pour de l’esprit, avec une si jolie bouche pouvoit-elle ne pas en avoir ? Ses yeux et son sourire en auroient donné seuls à son langage le plus simple ; et, sur ses lèvres, le bonjour, le bonsoir, me sembloient délicats et fins. Elle pouvoit avoir un ou deux ans de plus que moi, et cette inégalité