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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/78

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MÉMOIRES DE MARMONTEL

mère, éperdue elle-même, me serrant dans ses bras et me baignant de larmes, jeta des cris si douloureux que toutes les femmes de la maison, hormis une seule, accoururent ; et celle qui n’osoit paroître, et qui venoit d’avouer sa faute, s’arrachoit les cheveux du malheur qu’elle avoit causé.

Leur désolation, le déluge de pleurs que je voyois pleuvoir autour de moi, ces tendres et timides gémissemens que j’entendois, m’amollirent le cœur et firent tomber ma colère ; mais j’étouffois, le sang avoit enflé toutes mes veines : il fallut me saigner. Ma mère trembloit pour mes jours. Sa mère, pendant la saignée, lui dit tout bas ce qui s’étoit passé, car inutilement me l’avoit-elle demandé à moi-même : « Une horreur ! une barbarie ! » étoient les seuls mots de réponse que j’avois pu lui faire entendre ; lui en dire davantage eût été trop affreux pour moi dans ce moment. Mais, lorsque la saignée m’eut donné du relâche, et qu’un peu de calme eut changé ma furie en douleur, je fis à ma mère un récit fidèle et simple de mon amour, de la manière honnête et sage dont Mlle B*** y avoit répondu, enfin de la promesse qu’elle avoit bien voulu me faire de ne jamais se marier sans que ma mère y consentit. « Après cela, lui dis-je, quelle blessure pour son cœur, quel déchirement pour le mien, que l’injuste et sanglant reproche qu’elle vient d’essuyer pour moi !