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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/79

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Ah ! ma mère, c’est un affront que rien ne sauroit effacer. Hélas ! c’est moi qui en suis la cause, me dit-elle en pleurant ; c’est mon inquiétude sur cette liaison qui a troublé la tête à nos tantes ; si tu ne leur pardonnes pas, il faut aussi ne point pardonner à ta mère. » À ces mots, mes bras l’enveloppent et la serrent contre mon cœur.

Pour lui obéir, je m’étois couché. L’effervescence de mon sang, quoique bien affoiblie, n’étoit point apaisée ; tous mes nerfs étoient ébranlés, et l’image de cette fille intéressante et malheureuse, que je croyois inconsolable, étoit présente à ma pensée, avec les traits de la douleur les plus vifs et les plus perçans. Ma mère me voyoit frappé de cette idée, et mon cœur, encore plus ému que mon cerveau, tenoit mon sang et mes esprits dans un mouvement déréglé semblable à une ardente fièvre. Le médecin, à qui la cause en étoit inconnue, présageoit une maladie, et parloit de la prévenir par une seconde saignée. « Croyez-vous, lui demanda ma mère, que ce soir il soit temps encore ? » Il répondit qu’il seroit temps. « Revenez donc ce soir, Monsieur ; jusque-là j’aurai soin de lui. »

Ma mère, en m’invitant à essayer de prendre quelque repos, me laissa seul, et, un quart d’heure après, elle revint accompagnée… de qui ? Vous devez le prévoir, vous qui connoissez la nature.