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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/95

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soit arrivé, en voyant un grand homme, d’imprimer sur son front les traits du caractère de son âme ou de son génie. C’étoit ainsi que, parmi les rides de ce visage déjà flétri, et dans ces yeux qui alloient s’éteindre, je croyois démêler encore l’expression de cette éloquence si sensible, si tendre, si haute quelquefois, si profondément pénétrante, dont je venois d’être enchanté à la lecture de ses sermons. Il nous permit de lui en parler, et de lui faire hommage des religieuses larmes qu’elle nous avoit fait répandre. Après un travail excessif, durant mon année de logique, ayant eu, sans compter mes études particulières, trois autres classes, soir et matin, à faire avec mes écoliers, j’allai chez moi prendre un peu de repos ; et ce ne fut pas, je l’avoue, sans quelque sentiment d’orgueil que je parus devant mon père, bien vêtu, les mains pleines de petits présens pour mes sœurs, et avec quelque argent de réserve. Ma mère, en m’embrassant, pleura de joie ; mon père me reçut avec bonté, mais froidement ; tout le reste de la famille fut comme enchanté de me voir.

Mlle B*** n’eut pas une joie aussi pure, et je fus moi-même bien confus, bien mal à mon aise, lorsqu’en habit d’abbé il fallut paroître à ses yeux. Dans mon changement, il est vrai, je ne lui étois pas infidèle, mais j’étois inconstant : c’en étoit bien assez. Je ne savois comment me conduire