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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/16

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quoique je n’eusse qu’une bien petite dot à lui donner, il se présentoit pour elle dans mon pays nombre de partis convenables. Je préférai celui qui, du côté des mœurs et des talens, m’étoit connu pour le meilleur, et mon choix se trouva le même que ma sœur auroit fait en suivant son inclination. Odde, mon condisciple, avoit été dès le collège un modèle de piété, de sagesse, d’application. Son caractère étoit doux et gai, plein de candeur, et d’une égalité parfaite ; incorruptible dans ses mœurs, et toujours semblable à lui-même. Il vit encore ; il est à peu près de mon âge ; et je ne crois pas qu’il y ait au monde une âme plus pure. Il n’y a eu pour lui de changement et de passage que de l’âge de l’innocence à l’âge de la vertu. Son père, en mourant, lui avoit laissé peu de bien, mais pour héritage un ami rare et précieux. Cet ami, dont M. Turgot m’a fait souvent l’éloge, étoit un M. de Maleseigne[1], vrai philosophe, qui, dans notre ville isolée, presque solitaire, passoit sa vie à lire Tacite, Plutarque, Montaigne, à prendre soin de ses domaines et à cultiver ses jardins. « Qui croiroit, me disoit M. Turgot, que, dans une petite

  1. Je n’ai pu retrouver nulle part de renseignements précis sur ce personnage, dont la famille était peut-être alliée à celle d’un M. de Maleseigne, chargé de réprimer, en 1790, les troubles de Nancy, et dont la famille était originaire de la Franche-Comté.