Aller au contenu

Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien de difficultés j’étois arrivé à l’Académie ; mais je ne vous ai pas dit quelles épines la vanité du bel esprit avoit semées sur mon chemin.

Durant les contrariétés que j’éprouvois, Mme Geoffrin étoit mal à son aise ; elle m’en parloit quelquefois du bout de ses lèvres pincées ; et, à chaque nouvelle élection qui reculoit la mienne, je voyois qu’elle en avoit du dépit. « Eh bien ! me disoit-elle, il est donc décidé que vous n’en serez point ? » Moi qui ne voulois pas qu’elle en fût tracassée, je répondois négligemment que « c’étoit le moindre de mes soucis ; que l’auteur de la Henriade, de Zaïre, de Mérope, n’avoit été de l’Académie qu’à cinquante ans passés ; que je n’en avois pas quarante ; que j’en serois peut-être quelque jour ; mais qu’au surplus, d’honnêtes gens, et d’un mérite bien distingué, se consoloient de n’en pas être, et que je m’en passerois comme eux ». Je la suppliois de ne pas s’en inquiéter plus que moi. Elle ne s’en inquiétoit pas moins, et de temps en temps, à sa manière, et par de petits mots, elle tâtoit les dispositions des académiciens.

Un jour elle me demanda : « Que vous a fait M. de Marivaux, pour vous moquer de lui et le tourner en ridicule ? — Moi, Madame ? — Oui, vous-même, qui lui riez au nez et faites rire à ses dépens… — En vérité, Madame, je ne sais ce