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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/234

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savoit l’entretenir, soit en la modérant, soit en l’animant tour à tour. La continuelle activité de son âme se communiquoit à nos esprits, mais avec mesure ; son imagination en étoit le mobile, sa raison le régulateur. Et remarquez bien que les têtes qu’elle remuoit à son gré n’étoient ni foibles ni légères ; les Condillac et les Turgot étoient du nombre ; d’Alembert étoit auprès d’elle comme un simple et docile enfant. Son talent de jeter en avant la pensée et de la donner à débattre à des hommes de cette classe ; son talent de la discuter elle-même, et, comme eux, avec précision, quelquefois avec éloquence ; son talent d’amener de nouvelles idées et de varier l’entretien, toujours avec l’aisance et la facilité d’une fée qui, d’un coup de baguette, change à son gré la scène de ses enchantemens ; ce talent, dis-je, n’étoit pas celui d’une femme vulgaire. Ce n’étoit pas avec les niaiseries de la mode et de la vanité que, tous les jours, durant quatre heures de conversation, sans langueur et sans vide, elle savoit se rendre intéressante pour un cercle de bons esprits. Il est vrai que l’un de ses charmes étoit ce naturel brûlant qui passionnoit son langage, et qui communiquoit à ses opinions la chaleur, l’intérêt, l’éloquence du sentiment. Souvent aussi chez elle, et très souvent, la raison s’égayoit ; une douce philosophie s’y permettoit un léger badinage ;