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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/236

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complaisante, vivre avec elle dans son couvent ; elle rencontra celle-ci ; elle en fut enchantée, comme vous croyez bien. D’Alembert ne fut pas moins charmé de trouver chez sa vieille amie un tiers aussi intéressant.

Entre cette jeune personne et lui, l’infortune avoit mis un rapport qui devoit rapprocher leurs âmes. Ils étoient tous les deux ce qu’on appelle enfans de l’amour. Je vis leur amitié naissante, lorsque Mme du Deffand les menoit avec elle souper chez mon amie Mme Harenc ; et c’est de ce temps-là que datoit notre connoissance. Il ne falloit pas moins qu’un ami tel que d’Alembert pour adoucir et rendre supportables à Mlle de Lespinasse la tristesse et la dureté de sa condition, car c’étoit peu d’être assujettie à une assiduité perpétuelle auprès d’une femme aveugle et vaporeuse ; il falloit, pour vivre avec elle, faire comme elle du jour la nuit et de la nuit le jour, veiller à côté de son lit, et l’endormir en faisant la lecture ; travail qui fut mortel à cette jeune fille, naturellement délicate, et dont jamais depuis sa poitrine épuisée n’a pu se rétablir. Elle y résistoit cependant, lorsque arriva l’incident qui rompit sa chaîne.

Mme du Deffand, après avoir veillé toute la nuit chez elle-même ou chez Mme de Luxembourg, qui veilloit comme elle, donnoit tout le jour au sommeil, et n’étoit visible que vers les six heures