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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/265

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jamais une seule plainte se fit entendre contre lui, tant son humanité savoit tout adoucir ! Moi-même je participois au respect qu’on avoit pour eux. On ne savoit quelle fête me faire ; et tous les jours que nous passions ensemble étoient des jours de réjouissance. Vous ne seriez pas nés, mes enfans, si ma bonne sœur eût vécu : c’eût été auprès d’elle que je serois allé vieillir ; mais elle portoit dans son sein le germe de la maladie funeste à toute ma famille ; et bientôt cet espoir dont je m’étois flatté me fut cruellement ravi.

Dans l’un de ces heureux voyages que je faisois à Saumur, je profitai du voisinage de la terre des Ormes pour y aller voir le comte d’Argenson, l’ancien ministre de la guerre, que le roi y avoit exilé. Je n’avois pas oublié les bontés qu’il m’avoit témoignées dans le temps de sa gloire. Jeune encore, lorsque j’avois fait un petit poème sur l’établissement de l’École militaire[1], dont il avoit le principal honneur, il s’étoit plu à faire valoir ce témoignage de mon zèle. Chez lui, à table, il m’avoit présenté à la noblesse militaire comme un jeune homme qui avoit des droits à sa reconnoissance et à sa protection. Il me reçut dans son exil avec une extrême sensibilité. Ô mes enfans ! quelle maladie incurable que celle de l’ambition ! quelle tristesse que celle

  1. Voyez tome I, p. 257.