Aller au contenu

Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vie d’un ministre disgracié ! Déjà usé par le travail, le chagrin achevoit de ruiner sa santé. Son corps étoit rongé de goutte, son âme l’étoit bien plus cruellement de souvenirs et de regrets ; et, à travers l’aimable accueil qu’il voulut bien me faire, je ne laissai pas de voir en lui une victime de tous les genres de douleurs.

En me promenant avec lui dans ses jardins, j’aperçus de loin une statue de marbre ; je lui demandai ce que c’étoit. « C’est, me dit-il, ce que je n’ai plus le courage de regarder[1] » ; et, en nous détournant « Ah ! Marmontel, si vous saviez avec quel zèle je l’ai servi ! si vous saviez combien de fois il m’avoit assuré que nous passerions notre vie ensemble, et que je n’avois pas au monde un meilleur ami que lui ! Voilà les promesses des rois, voilà leur amitié ! » Et, en disant ces mots, ses yeux se remplirent de larmes.

  1. Dufort de Cheverny (I, 196), qui visita aussi (en 1757) le ministre exilé, lui fait dire, au contraire, que sa seule consolation était de venir tous les jours voir son maître ; mais d’Argenson se flattait sans doute encore que sa disgrâce serait de courte durée. Selon le président Hénault (Mémoires, p. 251), cette statue de Louis XV (en pied) était celle que Pigalle avait modelée pour les jardins de d’Argenson à Neuilly, Vendue en 1792 avec le château des Ormes, elle aurait été chargée, à cette époque, sur un bateau à destination de Nantes ; depuis lors, on perd sa trace. (Tarbé, la Vie et les Œuvres de J.-B. Pigalle, 1859, p. 234.)