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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/270

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l’abbé, je n’ai eu garde d’y manquer, et j’ai payé à monsieur le maréchal un juste tribut de louanges. — Le champ, lui dis-je, étoit riche et vaste. Cependant il y avoit un pas difficile à passer. — Oui, me dit-il en souriant, l’affaire de Minden ; vraiment, c’étoit l’endroit critique ; mais je m’en suis tiré assez heureusement. D’abord, j’ai parlé des actions qui avoient mérité à M. le maréchal de Contades le commandement des armées ; j’ai rappelé tout ce qu’il avoit fait de plus glorieux jusque-là ; et, lorsque je suis arrivé à la bataille de Minden, je n’ai dit que deux mots : Contades paroît, Contades est vaincu ; et puis j’ai parlé d’autre chose. » Comme le rire m’étouffoit, j’y voulus faire diversion. « Ces mots, lui dis-je, rappellent ceux de César, après la défaite du fils de Mithridate : Je suis venu, j’ai vu, et j’ai vaincu. — Il est vrai, dit l’abbé ; l’on a même trouvé ma phrase un peu plus laconique. » L’air d’emphase et de gravité dont il avoit prononcé sa sottise étoit si plaisant que Vaudesir et moi, pour n’en pas éclater de rire, nous n’osions nous regarder l’un l’autre ; encore eûmes-nous de la peine à garder notre sérieux.

Ces voyages et ces absences déplaisoient à Mme Geoffrin. De toute la belle saison je n’assistois à l’Académie. On lui en faisoit des plaintes ; elle s’imaginoit que je me donnois un tort grave