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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/10

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y avoir prétendu. — À mon âge ? — Bon ! à votre âge ! Vous êtes jeune encore, et en pleine santé. » Alors le voilà qui déploie toute son éloquence à me prouver que rien n’étoit plus convenable ; que je serois aimé ; que nous ferions un bon ménage ; et, d’un ton de prophète, il m’annonça que nous aurions de beaux enfans.

Après cette saillie, il me laissa livré à mes réflexions ; et, tout en me disant à moi-même qu’il étoit fou, je commençai à n’être pas plus sage.

Mes cinquante-quatre ans ne me semblèrent plus un obstacle si effrayant ; la santé, à cet âge, pouvoit tenir lieu de jeunesse. Je commençai à croire que je pouvois inspirer non pas de l’amour, mais une bonne et tendre amitié ; et je me rappelai ce que disoient les sages que l’amitié fait plus de bons ménages que l’amour.

Je croyois avoir remarqué, dans cette jeune et belle personne, du plaisir à me voir, du plaisir à m’entendre : ses beaux yeux, en me regardant, avoient un caractère d’intérêt et de bienveillance. J’allai jusqu’à penser que, dans les attentions dont m’honoroit sa mère, dans le plaisir que témoignoient ses oncles à me voir assidu chez eux, il entroit peut-être quelque disposition favorable au vœu que je n’osois former. Je n’étois pas riche ; mais cent trente mille francs, solidement placés, étoient le fruit de mes épargnes. Enfin, puisqu’un