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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/12

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n’avoit instruite qu’à feindre et à dissimuler ; mais on m’avoit dit tant de bien du naturel de celle-ci, et ce naturel me sembloit si naïf, si pur et si vrai, si éloigné de toute espèce de dissimulation, de feinte et d’artifice ; la bonté, l’innocence, la tendre modestie, en étoient si visiblement exprimées dans son air et dans son langage, que je me sentois invinciblement porté à le croire tel qu’il s’annonçoit ; et, si je n’ajoutois pas foi à tant de vraisemblance, il falloit donc me défier de tout, et ne croire jamais à rien.

Une promenade aux jardins de Sceaux acheva de me décider. Jamais ce lieu ne m’a paru si beau, jamais je n’avois respiré l’air de la campagne avec tant de délices ; la présence de Mlle de Montigny avoit tout embelli : ses regards répandoient je ne sais quoi d’enchanteur autour d’elle. Ce que j’éprouvois n’étoit pas ce délire des sens que l’on appelle amour : c’étoit une volupté calme, et telle qu’on nous peint celle des purs esprits. Le dirai-je ? il me semble que je connus alors pour la première fois le vrai sentiment de l’amour.

Jusque-là le plaisir des sens avoit été le seul attrait qui m’eût conduit. Ici je me sentis enlevé hors de moi par de plus invincibles charmes ; c’étoient la candeur, l’innocence, la douce sensibilité, la chaste et timide pudeur, une honnêteté dont le voile ornoit la grâce et la beauté ; c’étoit