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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/27

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je le voyois aussi se réjouir de mes caresses. Bientôt sa langue essaya ces premiers mots de la nature, ces noms si doux qui, des lèvres de l’enfant, vont droit au cœur du père et de la mère.

Je n’oublierai jamais le moment où, dans le jardin de notre petite maison, mon enfant, qui n’avoit encore osé marcher sans ses lisières, me voyant à trois pas de lui à genoux, lui tendant les mains, se détacha des bras de sa nourrice, et, d’un pied chancelant, mais résolu, vint se jeter entre mes bras. Je sais bien que l’émotion que j’éprouvai dans ce moment est un plaisir que la bonne nature a rendu populaire ; mais malheur à ces cœurs blasés à qui, pour être émus, il faut des impressions artificielles et rares ! Une femme de nos amis disoit de moi assez plaisamment : « Il croit qu’il n’y a que lui au monde qui soit père. » Non, je ne prétends pas que, pour moi, l’amour paternel ait des douceurs particulières ; mais, ce bonheur commun ne fût-il accordé qu’à moi, je n’y serois pas plus sensible. Ma femme ne l’étoit pas moins aux premières délices de l’amour maternel ; et vous concevez qu’auprès de notre enfant nous n’avions l’un et l’autre à désirer aucun autre spectacle, aucune autre société.

Notre famille, cependant, et quelques-uns de nos amis, venoient nous voir tous les jours de fêtes. L’abbé Maury étoit du nombre, et il falloit en-