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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/30

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écrits, dans vos discours, le traiter si sévèrement ? Pourquoi insister sur ses vices ? N’y a-t-il pas de l’impiété à troubler la cendre des morts ? — Oui, la cendre des morts qui n’ont, lui dis-je, laissé aucun exemple, aucun souvenir pernicieux pour les vivans ; mais des poisons assaisonnés dans les écrits d’un éloquent sophiste et d’un corrupteur séduisant ; mais des impressions funestes qu’il a faites sur les esprits par de spécieuses calomnies ; mais tout ce qu’un talent célèbre a laissé de contagieux doit-il passer à la faveur du respect que l’on doit aux morts, et se perpétuer d’âge en âge ? Certainement j’y opposerai, soit en préservatifs, soit en contre-poisons, tous les moyens qui sont en mon pouvoir ; et, ne fût-ce que pour laver la mémoire de mes amis des taches dont il l’a souillée, je ne laisserai, si je puis, à ce qui lui reste de prosélytes et d’enthousiastes, que le choix de penser que Rousseau a été méchant ou qu’il a été fou. Ils m’accuseront, moi, d’être envieux ; mais tant d’hommes illustres à qui j’ai rendu le plus juste et le plus pur hommage attesteront que jamais l’envie n’a obscurci dans mes écrits la justice et la vérité. J’ai épargné Rousseau tant qu’il a vécu, parce qu’il avoit besoin des hommes, et que je ne voulois pas lui nuire. Il n’est plus ; je ne dois aucun ménagement à la réputation d’un homme qui n’en a ménagé aucune, et qui, dans ses Mé-