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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/35

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la même jusqu’à sa mort ; et un dernier témoignage qu’il m’en donna fut l’accueil plein de grâce et de bonté qu’il fit à ma femme, lorsque je la lui présentai. Sa maison ne désemplissoit pas du monde qui venoit le voir, et nous étions témoins de la fatigue qu’il se donnoit pour répondre convenablement à chacun. Cette attention continuelle épuisoit ses forces ; et, pour ses vrais amis, c’étoit un spectacle pénible. Mais nous étions de ses soupers, et là nous jouissions des dernières lueurs de cet esprit qui alloit s’éteindre.

Rousseau étoit malheureux comme lui et par la même passion ; mais l’ambition de Voltaire avoit un fond de modestie, vous pouvez le voir dans ses lettres ; au lieu que celle de Rousseau étoit pétrie d’orgueil, la preuve en est dans ses écrits.

Je l’avois vu dans la société des gens de lettres les plus estimables accueilli et considéré ce ne fut pas assez pour lui, leur célébrité l’offusquoit ; il les crut jaloux de la sienne. Leur bienveillance lui fut suspecte. Il commença par les soupçonner, et il finit par les noircir. Il eut, malgré lui, des amis ; ces amis lui firent du bien, leur bonté lui fut importune. Il reçut leurs bienfaits ; mais il les accusa d’avoir voulu l’humilier, le déshonorer, l’avilir ; et la plus odieuse diffamation fut le prix de leur bienfaisance.

On ne parloit de lui dans le monde qu’avec un