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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/34

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bat ne fut pas toujours digne de lui, et il eut encore plus d’insectes à écraser que de serpens à étouffer. Mais il ne sut jamais ni dédaigner ni provoquer l’offense : les plus vils de ses agresseurs ont été flétris de sa main ; l’arme du ridicule fut l’instrument de ses vengeances, et il s’en fit un jeu redoutable et cruel. Mais le plus grand des biens, le repos, lui fut inconnu. Il est vrai que l’envie parut enfin lasse de le poursuivre, et l’épargner au moins sur le bord du tombeau. Dans le voyage qu’on lui permit de faire à Paris, après un long exil, il jouit de sa renommée et de l’enthousiasme de tout un peuple reconnoissant des plaisirs qu’il lui avoit donnés. Le débile et dernier effort qu’il faisoit pour lui plaire, Irène fut applaudie comme l’avoit été Zaïre ; et ce spectacle, où il fut couronné, fut pour lui le plus beau triomphe. Mais dans quel moment lui venoit cette consolation, ce prix de tant de veilles ? Le lendemain je le vis dans son lit. « Eh bien ! lui dis-je, enfin êtes-vous rassasié de gloire ? — Ah ! mon ami, s’écria-t-il, vous me parlez de gloire, et je suis au supplice, et je me meurs dans des tourmens affreux ! »

Ainsi finit l’un des hommes les plus illustres dans les lettres, et l’un des plus aimables dans la société. Il étoit sensible à l’injure, mais il l’étoit à l’amitié. Celle dont il a honoré ma jeunesse fut