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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/37

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de la condition de Rousseau ; il n’avoit pu l’endurer lui-même, et, après avoir empoisonné ses jours, je ne suis point surpris qu’il en ait volontairement abrégé la triste durée.

Pour Voltaire, j’avoue que je trouvois sa gloire encore trop chèrement payée par toutes les tribulations qu’elle lui avoit fait éprouver, et je disois encore : « Moins d’éclat et plus de repos. »

Restreint dans mon ambition, d’abord par le besoin de mesurer mon vol à la foiblesse de mes ailes, et puis encore par l’amour de ce repos de l’esprit et de l’âme qui accompagne un travail paisible, et que je croyois le partage de l’humble médiocrité, j’aurois été content de cet heureux état. Ainsi, renonçant de bonne heure à des tentatives présomptueuses, j’avois, pour ainsi dire, capitulé avec l’envie, et je m’étois réduit à des genres d’écrire dont on pouvoit sans peine pardonner le succès. Je n’en fus pas plus épargné ; et j’éprouvai que les petites choses trouvent encore, dans de petites âmes, une envieuse malignité.

Mais je m’étois fait deux principes : l’un, de ne jamais provoquer dans mes écrits l’offense par l’offense ; l’autre, d’en mépriser l’attaque et de n’y répondre jamais. Je fus trente ans inébranlable dans ma résolution ; et toute la rage des Fréron, des Palissot, des Linguet, des Aubert et de leurs semblables, n’avoit pu m’irriter contre eux.