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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/45

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douloureuse qu’elle devoit être éternelle. Les lettres de Caraccioli étoient remplies de ses regrets. Il ne cessoit de m’appeler en Sicile avec ma famille, offrant de m’envoyer à Marseille un navire pour nous transporter à Palerme.

J’ai dit quelle étoit, depuis quarante ans, mon amitié pour d’Alembert, et quel prix je devois attacher à la sienne. Depuis la mort de Mlle de Lespinasse, il étoit consumé d’ennui et de tristesse. Mais quelquefois encore il laissoit couler, dans la profonde plaie de son cœur, quelques gouttes du baume de cette amitié consolante. C’étoit surtout avec ma femme qu’il se plaisoit à faire diversion à ses peines. Ma femme y prenoit l’intérêt le plus tendre. Lui et Thomas, les deux hommes de lettres dont les talens et les lumières auroient dû lui en imposer le plus, étoient ceux avec qui elle étoit le plus à son aise. Il n’y avoit pour elle aucun amusement préférable à leur entretien.

Thomas sembloit encore avoir longtemps à vivre pour la gloire et pour l’amitié.

Mais d’Alembert commençoit à sentir les déchiremens de la pierre ; et bientôt il n’exista plus que pour souffrir et mourir lentement dans les plus cruelles douleurs.

Dans une foible esquisse de son éloge [1], j’ai

  1. Voyez tome II, p. 137, note.