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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/65

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L’abbé Maury avoit, dans le caractère, un excès d’énergie et de véhémence qu’il contenoit difficilement, mais qu’il me laissoit modérer. Quand je trouvois en lui des mouvemens impétueux à réprimer, je les lui reprochois avec une franchise qui le soulevoit quelquefois, mais qui ne l’irritoit jamais. Il étoit violent et doux, et aussi juste que sensible.

Un jour, dans son impatience, il me dit que j’abusois trop de l’ascendant que j’avois pris sur lui. « Je n’ai, lui dis-je, et ne veux avoir sur vous d’autre ascendant que celui de la raison animée par l’amitié ; et, si j’en use, ce n’est que pour vous empêcher de vous nuire à vous-même. Je connois la bonté, la droiture de votre cœur ; mais vous avez encore trop de feu et trop de verdeur dans la tête. Votre esprit n’est pas mûr, et cette sève qui en fait la force a besoin d’être tempérée. Vous savez avec quel plaisir je loue en vous ce qui est louable ; avec la même sincérité je reprendrai ce qui sera répréhensible ; et, lorsque je croirai qu’une vérité dure vous sera nécessaire, je vous estime trop pour croire avoir besoin de l’adoucir. Au reste, c’est ainsi que j’entends être votre ami. Si la condition vous déplaît, vous n’avez qu’à le dire, je cesserai de l’être. » Pour toute réponse, il m’embrassa.

« Ce n’est pas tout, repris-je : cette sévérité