Page:Marot - Les Œuvres, t. 5, éd. Guiffrey, 1931.djvu/109

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Qui plus fort croist, quand estaindre on l’essaye,
Et congnoys bien, qu’en amoureuse emprise
Desbender l’Arc ne guerist point la Playe.
Apres je vy d’aymer ung vieil Routier,
Qui de grand cueur soubz puissance moysie
Chanta d’Amours ung couplet tout entier,
Louant sa Dame, et blasmant Jalousie :
Dont les premiers ne furent envieux :
Bien luy ont dit, Vieil Homme entre les Vieulx,
Comment seroit ta pensée surprise
D’aulcun amour, quand le temps, qui tout brise,
T’a desnué de ta puissance gaye ?
J’ay bon vouloir (respond la Teste grise)
Desbender l’Arc ne guerist point la Playe
D’ung Rocher creux saillit tout au dernier
Une Ame estant de son Corps dessaisie,
Qui ne vouloit de Charon Nautonnier
Passer le Fleuve. O quelle frenesie !
Aller ne veult aux Champs delicieux,
Ains veult attendre au grand Port Stigieux
L’Ame de celle, où s’amour est assise,
Sans du venir sçavoir l’heure precise
Lors m’esveillay, tenant pour chose vraye,
Que, puis qu’amour suit la Personne occise,
Desbender l’Arc ne guerist point la Playe.
Prince, l’Amour ung Querant tyrannise :
Le Jouissant cuide estaindre, et attise :
Le Vieil tient bon : et du Mort je m’esmaye.
Jugez, lequel dit le mieulx sans faintise,
Desbender l’Arc ne guerist point la Playe.