Page:Marquis de Lassay, Maurice Lange - Lettres amoureuses et pensées diverses du marquis de Lassay, Sansot 1912.djvu/31

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pensa en devenir dévot. Saint-Simon nous le montre en cet état[1], retiré dans une maisonnette qu’il avait au fond d’un jardin, près de l’hospice des Incurables (ne se croyait-il pas l’un d’eux ?) et y menant, plusieurs années, une vie édifiante. Cela fit sourire… Ce n’est pas le temps, comme dit Molière, d’être dévot à vingt ans, ni même à trente. De fait on le vit peu à peu « ajuster sa petite maison », y recevoir l’un, puis l’autre, en sortir : tant qu’enfin il la quitta sans esprit de retour, pour aller rejoindre à Augsbourg les princes de Conti et batailler en Hongrie contre les Turcs[2]. Mais les émotions guerrières ne suffisaient pas à remplir son cœur. Il aspirait à d’autres conquêtes. L’Italie les lui procura.

Sophie Dorothée, fille du duc de Zell et d’Eléonore d’Olbreuse (qui était elle-même la fille d’un simple gentilhomme poitevin) avait épousé, à contre-cœur, son cousin germain Georges, électeur de Hanovre, — plus tard Georges Ier d’Angleterre, — qui dès lors brutal, ivrogne, débauché, ne justifiait que trop les dégoûts de sa jeune et jolie femme. Elle était à Rome quand Lassay, qui rentrait en France, la vit. C’était déjà le temps où les jeunes princesses, victimes des calculs de la politique, s’en dédommageaient, comme de simples femmes, en laissant parler leur cœur. Lui, de son côté, fut sans doute bien aise de se prouver à lui-même qu’il n’était pas moins digne que sa chère Marianne de faire tourner une tête princière. Bref ces deux cœurs inoccupés ne demandaient qu’à s’entendre. L’idylle fut délicieuse, mais brève. Tandis qu’ils se parlaient des yeux, ou qu’ils

  1. Saint-Simon, éd. De Boislisle, III, p. 3.
  2. Recueil, I, p. 100-256 : Lettres écrites de Hongrie (mai-octobre 1685) à un de ses amis. Voir notamment le récit du siège de Gran ; Sainte-Beuve en a cité quelques lignes (op. cit. p. 174-5.)