Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/140

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la lumière dépoétise tout ; la nuit seule est grande, profonde, immense, comme les rêves, comme les désirs.

Il suit de ces réflexions que je n’étais pas amoureux de Mlle des Touches ; je le croyais du moins. Ce calme de mes sentiments, qu’après trente ans je ne saurais comment qualifier, aurait duré pour moi des années peut-être, sans une circonstance toute naturelle, mais que pourtant je n’avais pas prévue et qui, en brisant la chaîne mystérieuse de cette intimité, rompit tout à coup le charme. Ce fut l’annonce du mariage de Mlle Stéphanie avec le comte Armand d’Houdetot, lieutenant-colonel au 4e régiment d’infanterie de la garde royale[1].

M. des Touches vint lui-même m’en faire part ; il était six heures du matin, et j’étais encore au lit. Après cette courte communication, mon préfet disparut, comme s’il venait de commettre une mauvaise action. Surpris et brisé, je me levai sur mon séant, je n’entendis plus qu’un bourdonnement confus, et je sentis bien à ce trouble, à ce bouleversement subit de mes sens, au découragement qui s’empara de moi pendant tout le reste de la journée, que j’étais bien près d’aimer d’amour, si la chose n’était déjà faite.

  1. D’Houdetot (Armand, comte), né le 9 avril 1787. Enrôlé volontaire à la 66e demi-brigade d’infanterie en 1803, il devint capitaine, aide de camp du général Lagrange, colonel du IIe régiment d’infanterie de ligne en 1821, et démissionna en 1830. Il avait fait campagne aux colonies jusqu’en 1809, puis avec la Grande Armée. Il était petit-neveu de la célèbre Mme d’Houdetot, l’amie de Jean-Jacques.