Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/172

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Au moment de se lever, notre inconnu trouva le moyen d’aborder la politique, car, dans ces temps d’agitation, il était impossible de se frotter les uns contre les autres sans parler des affaires du jour, qui enchantaient ou mécontentaient selon les couleurs du drapeau adopté. Après avoir dépassé le but dans une sortie des plus violentes, des plus imprudentes, contre la famille des Bourbons, notre jeune homme termina ainsi : « Messieurs, j’ai promis à Elmire[1] de la reconduire ce soir et de prendre le thé avec elle ; un galant cavalier ne doit pas faire attendre une si charmante femme. Bonsoir donc, Messieurs. »

— « Quel est ce monsieur aux allures militaires ? » demandai-je aussitôt qu’il eut le dos tourné. — « C’est le colonel Fortuné de Brack. Comment ne le connaissez-vous pas ? — Je le connais beaucoup de réputation, et quoiqu’il soit fort répandu, le hasard ne me l’a point fait encore rencontrer dans le monde, où il n’est bruit que de sa galanterie, de sa valeur, de son esprit et de sa beauté. » Depuis, les circonstances m’ont rapproché du colonel de Brack ; son humeur était si affable, son caractère si séduisant que

  1. Le beau colonel Fortuné de Brack prenait ses Elmire tantôt au théâtre, tantôt dans les salons du faubourg Saint-Germain, tantôt même sur le trône. Celle de ce soir-là était Mlle Mars, alors en rivalité d’amour avec une grande dame ; on fit circuler à ce propos la nouvelle suivante : « Il a été perdu, depuis la rue de la Tour des Dames jusqu’à la rue de *** un beau brac, répondant au nom de Fortuné ; ceux qui le trouveront sont priés de le ramener à Mme la duchesse de X…., ou à Mlle Mars, sociétaire de la Comédie française. »