Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/206

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titres et d’appointements, en le priant d’appuyer la demande faite en ma faveur ; le général me répondit avec la plus grande franchise, avec le sans-façon le plus décourageant, « qu’étant en ce moment même occupé à faire nommer deux préfets dans sa famille, il lui était impossible de recommander toute autre demande analogue, qu’il le regrettait vivement, etc. »

Et c’était pour soutenir la cause personnelle du général Brun de Villeret que j’avais, à vingt-six ans, sacrifié ma place, mon avenir, sans hésitation. Ah ! les hommes, et dire qu’on n’en rencontre guère d’autres !

C’est le cas de faire observer ici qu’à cette époque, l’influence du ministère dans les élections était parfaitement légitime ; elle se montrait surtout sous les formes les plus polies et ne s’exerçait pas d’une manière brutale comme on l’a fait depuis. On se bornait à prévenir un préfet soit par un inspecteur général des finances en tournée, soit par tout autre intermédiaire, que tels noms seraient plus agréables que tels autres, mais le préfet n’était menacé ni d’une destitution ni même d’une disgrâce s’il ne réussissait pas. Ce n’est que plus tard, sous le ministère sans pudeur de M. de Villèle, que le système d’intimidation fut mis en pratique et qu’on se décida à donner aux préfets des ordres formels pour faire nommer, sous leur responsabilité personnelle, tel ou tel candidat à l’exclusion de tout autre. Et le gouvernement qui dictait ces ordres immoraux affectait les dehors de la probité la plus légale et de la piété la plus austère !