Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/207

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Durant mon séjour dans la Lozère, je me rencontrai avec un homme dont les exploits pacifiques faisaient grand bruit. C’était une espèce de capucin, si l’on en croyait son costume, sortant on ne sait d’où et qui prenait le nom de P. Hilarion. Disant appartenir à je ne sais quelle corporation religieuse, il avait acheté à crédit, à quelques lieues de Mende, un vieux château en ruine qu’il espérait pouvoir payer, comme il l’avançait, avec l’argent que Dieu lui enverrait au moment venu, et il l’avait transformé en établissement gratuit pour les aliénés, établissement où ceux-ci étaient très simplement mais très efficacement soignés.

Lorsque je demandai au capitaine de gendarmerie ce qu’il connaissait du P. Hilarion, il se pencha vers moi et me dit tout bas : « C’est l’Empereur ! — Quoi ! fis-je stupéfait, l’Empereur ?… mais il est mort depuis deux ans ! »

L’autre sourit d’un air incrédule et me fit de la tête un signe négatif ; la plupart des villageois d’alentour et nombre de citadins avaient la même conviction et jamais nous n’avons pu les désabuser à cet égard. Il est vrai qu’en voyant le P. Hilarion, je fus frappé de son extraordinaire ressemblance avec Napoléon. Paraissant âgé de trente à trente-deux ans, il était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, avec une belle figure et des traits parfaitement réguliers ; de plus, actif et entreprenant ; aussi, grâce à l’idée que ce pays naïf se faisait de sa personnalité, obtenait-il de la charité publique des sommes considérables nécessaires à l’entretien de son établissement.