Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/22

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bons écrivains ; mais écrire après coup, c’est voir perdre à la plupart d’entre eux la meilleure partie de leurs facultés. Préoccupés de leur effort et de la difficulté de leur tâche, ils ont édifié sur mille détails qui donnent du charme ; ils se sont ressouvenus froidement ou du moins d’une manière incomplète. On n’a eu que l’ombre de leur action ou de leur verve première.

« J’avais bégayé mes aventures avec des paroles autrement colorées, autrement expressives que celles employées à trente ans de distance. Aujourd’hui, avec un sang plus calme, j’ai dû tomber dans l’écueil opposé, ajouter des phrases aux détails des faits et perdre ainsi de mon naturel et de ma simplicité, ces deux joyaux du style qu’on ne retrouve pas, une fois disparus. »

Malgré leur importance anodine, le lecteur ne doit pas tenir rigueur à mon aïeul d’avoir confié au papier ses impressions : on aime autant à fouiller la vie de ses ancêtres et de ses intimes qu’à suivre les sentiers usés de la sienne propre, et je ne vois pas pourquoi l’on refuserait à ses descendants une satisfaction qu’on a personnellement désiré obtenir.