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Le frère unique de ma grand’mère était M. Lefaivre, ancien fournisseur des fourrages de l’armée à Mézières. Né vers 1750, il avait de la fortune, l’élégance et la politesse d’un homme de l’ancien régime ; il portait d’habitude une culotte courte, d’étoffe claire, des bas de soie chinés, un gilet brodé à larges revers et sa tête était ensevelie sous un vaste chapeau à la française fort en usage encore à l’époque de ma jeunesse chez les gens de cet âge. Malgré l’outrage des ans et ses infirmités, mon grand-oncle avait conservé la passion des femmes et quelques actrices, plus intéressées que friandes, lui avaient mangé trois ou quatre cent mille francs qui eussent agréablement tinté dans la giberne de son fils. Celui-ci, Jean-Baptiste Lefaivre, a fait les campagnes de l’Empire à la Grande Armée de 1806 à 1814 et est devenu colonel dans l’arme du génie[1]. Son mariage fut assez singulier.

À son retour des pontons de Portsmouth où il avait été envoyé après la prise de Badajoz, mon oncle, jeune

  1. Lefaivre (Jean-Baptiste-Marie), né à Mézières en 1783, sortit de l’École polytechnique, fut nommé sous-lieutenant du génie en 1803, capitaine en 1809 et colonel en 1840. Il était commandeur de la Légion d’honneur et chevalier de Saint-Louis.
    On lit dans les Mémoires de Sainte-Hélène, par le général Montholon, page 154 : « l’Empereur ne comprend pas que l’armée anglaise ait pu s’emparer de la citadelle de Badajoz, sans lâcheté ou trahison de la part de l’officier chargé de la défense de ce poste ; car la ville a fait une défense héroïque, et il se rappelle que les officiers du génie Lamand et Lefaivre se sont signalés par leur sang-froid et leur activité intelligente pendant l’assaut et pour la défense des brèches que ce dernier avait hérissées de tous les obstacles imaginables. »