Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/62

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Il y avait au théâtre de Versailles, en 1816 et 1817, une jolie petite actrice qu’on désignait sur l’affiche sous le nom d’Élisa ; elle avait le teint de la nuance d’un pruneau, étant venue au monde, quand le charbon de terre était en fleur. Malgré son teint bistré, Élisa avait des yeux étincelants comme ceux d’une Napolitaine, une très jolie voix qu’elle conduisait à merveille, une charmante tournure, de l’élégance, de la distinction sur la scène et en ville. Toutes ces qualités la faisaient aimer et applaudir. Élisa n’avait aucune espèce de considération pour le bourgeois ; elle était vouée, corps et âme, aux gardes du corps ; ce n’était pas pour les hommes, bien qu’elle en fit cas, et qu’elle les appréciât, mais pour leur uniforme, qu’elle avait une passion de bacchante affolée. Un uniforme de garde du corps, à quelque compagnie qu’il appartînt, pouvait se présenter chez elle à toute heure du jour et de la nuit, et, à moins que la place ne fût prise, ce qui arrivait souvent, celui qui portait cet habit orné d’aiguillettes pouvait s’établir chez elle comme chez lui.

Quelques gardes, très jeunes et très étourdis, eurent la sottise de se prendre de querelle au sujet des nombreux accrocs que cette gentille comédienne faisait à ses contrats, tout passagers qu’ils fussent, car elle n’était fidèle qu’à l’infidélité. Il s’ensuivit plusieurs coups d’épée qui ne causèrent heureusement que de légères égratignures aux plus maladroits. Mais ces duels eurent du retentissement et mirent l’héroïne plus à la mode. Les lionnes allaient au théâtre dans le seul