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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/117

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les galères de dunkerque

personne, tout étant mort, tant à mon banc qu’à celui d’au-dessous et à celui d’au-dessus, si bien que, de dix-huit personnes que nous étions dans ces trois bancs, il n’en réchappa que moi, avec mes trois blessures, et cela de la mitraille de ce seul canon. On le comprendra aisément si on se représente que ces canons étaient chargés jusqu’à la gueule ; premièrement la cartouche de poudre, ensuite une longue boîte de fer-blanc, suivant le calibre du canon, remplie de grosses balles à mousquet, et le reste du vide avec de vieilles ferrailles, et lorsqu’on tire ces canons, la boîte se brise, les balles et la mitraille s’épanchent d’une manière incompréhensible et font un carnage affreux.

Il fallait que j’attendisse pour être secouru, que le combat fût fini, car tout était sur la galère dans un désordre effroyable. On ne savait qui était mort, blessé ou en vie, on n’entendait que les cris lugubres des blessés qui étaient en grand nombre. Le coursier était si jonché de corps morts qu’on n’y pouvait passer. Les bancs des rameurs étaient pareillement pour la plupart pleins non seulement de forçats, mais de matelots, de soldats, d’officiers morts ou blessés, tellement que les vivants ne pouvaient se remuer, ni agir pour jeter les morts à la mer, ni secourir les blessés. Joignez à cela l’obscurité de la nuit et que nous n’osions allumer ni falots ni lanternes, à cause qu’on craignait d’être vu de la côte et que les navires de guerre qui étaient dans la Tamise ne courussent sur nous. M. de Langeron, notre commandant, ne voyant personne sur pied sur la galère que lui, craignant d’ailleurs quelque événement plus funeste, hissa lui-même le pavillon de secours, appelant par là toutes les galères de son escadre. Notre conserve fut bientôt avec nous, et les quatre qui avaient déjà attaqué et fait amener les voiles de la plupart des bâtiments marchands voyant ce signal et le péril de leur commandant, quittèrent prise pour le venir secourir, et abandonnèrent la Tamise, si bien que toute cette flotte, rehaussant ses voiles, se sauva dans la rivière. Toutes les galères voguèrent avec tant de vitesse que dans moins