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la vie aux galères

en Hollande que je n’eusse pas reçu cette somme, il me payerait sans faute au bout de ce terme. L’aumônier lui dit qu’il faisait bien de s’ouvrir à lui et qu’il lui pardonnait l’irrégularité qu’il avait commise à son égard : « Mais, continua-t-il, comme je ne veux courir les risques d’être votre dupe, pour m’assurer de votre ponctualité faites-moi un billet au porteur de cent écus, valeur de moi, payable dans quinze jours, lequel argent je remettrai à celui à qui vous auriez dû le payer, et je vous en procurerai quittance ; vous pouvez être tranquille à l’égard de ce forçat et je vous donne ma parole qu’il n’écrira pas à Amsterdam avant l’échéance de votre billet. » Pénétrau, charmé que sa démarche eût pris cette tournure, fit avec plaisir ce billet, et en même temps remit à l’aumônier la lettre qu’il avait pour moi. Tout cela se passait à mon insu.

Le même jour, l’aumônier vint sur la galère et me fit appeler dans la chambre de poupe. Il me dit d’un air sérieux : « Je suis surpris qu’un confesseur de la vérité ose mentir à un homme de mon caractère. » Je restai fort interdit à ce début et je lui dis que je ne savais pas ce qu’il voulait dire. « Ne m’avez-vous pas assuré que vous ne receviez pas d’argent de la Hollande ni d’aucun autre endroit ? J’ai en main de quoi vous convaincre de mensonge. » Et en même temps il me raconta ce qui s’était passé entre Pénétrau et lui et me remit la lettre d’avis, en me reprochant encore que je lui avais menti. Je pris la liberté de lui dire qu’il était plus coupable que moi ; puisque, sachant bien que ce n’était pas une chose que je pusse avouer, il m’avait obligé à la nier, en me la demandant. Il en tomba d’accord, et me dit que je n’avais qu’à me tranquilliser, que dans quinze jours il m’apporterait les cent écus, ce qu’il fit au jour précis et en me les comptant il m’offrit ses services. « Écrivez, me dit-il, à vos amis de Hollande qu’ils peuvent m’adresser leurs remises et soyez persuadé que je vous les paierai ponctuellement ; et par ce moyen vous serez hors de tout risque. » Je le remerciai de sa bonne volonté, dont je ne crus pas cependant faire usage. Cette retenue de ma part n’empêcha pas que nous